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20 ans de l'euro fiduciaire: l'euro, puzzle unique auquel manquent encore plusieurs pièces

(Belga) L'euro, qui garnit peu ou prou nos portefeuilles depuis désormais 20 ans, a défié les pronostics les plus pessimistes et affiche une série de succès. Mais son histoire est particulièrement mouvementée et son architecture repose encore et toujours sur des fondations imparfaites.

Parmi les réussites de l'euro, la Commission européenne avance, en vrac, un coup de pouce au commerce international, une plus grande transparence des prix, la fin des risques et des frais de change mais aussi un accès à un crédit meilleur marché pour les entreprises et les particuliers.  Mais l'une des plus grandes réussites de la monnaie unique, c'est peut-être d'être toujours là, 20 années plus tard. Car ce n'était pas forcément gagné d'avance. "Juste avant la création de la zone euro, je me rappelle qu'un économiste américain assez connu disait que cela allait créer une guerre en Europe, que cela ne pouvait pas fonctionner", se souvient Peter Vanden Houte, chef économiste d'ING Belgique. "Il est vrai que toutes les zones monétaires qui ont été créées dans le passé entre pays souverains, sans la création d'un Etat souverain au-dessus d'eux, ont échoué. C'est la raison pour laquelle pas mal d'économistes et d'historiens avaient des doutes." L'euro, il faut dire, est un peu mal-né, au tournant du millénaire. Quand les dirigeants des "15" s'engagent, un soir de décembre 1995 à Madrid, en faveur d'une monnaie unique, qu'ils décident d'appeler "euro", ils s'apprêtent à donner une devise commune à des pays dont les économies sont très différentes, notamment entre le nord et le sud du Vieux-Continent. Ils prévoient une politique monétaire commune mais guère d'harmonisation fiscale et budgétaire, à l'exception d'un "pacte de stabilité" très imparfait. Sans même parler d'intégration politique.  "Il y a quand même des grandes faiblesses au sein de la zone euro", constate Peter Vanden Houte, qui n'exclut d'ailleurs pas de nouveaux soubresauts à l'avenir. "La zone euro n'est pas ce que les économistes appellent une 'zone monétaire optimale'". Ce qui veut dire qu'en cas de "choc asymétrique", c'est-à-dire frappant davantage certains membres de l'union monétaire, les outils manquent pour y répondre: mobilité insuffisante des travailleurs (l'Europe n'est pas les Etats-Unis), impossibilité pour un pays plus faible de dévaluer sa monnaie pour relancer ses exportations, absence d'Europe sociale et solidarité intra-européenne insuffisante, notamment pour des motifs politiques. Si la Banque centrale européenne (BCE) peut faire beaucoup, on s'accorde d'ailleurs à dire que son président Mario Draghi a sauvé l'euro en juillet 2012 avec son "whatever it takes" (la BCE annonçait vouloir sauver l'euro quoiqu'il en coûte), l'institution de Francfort ne peut pas non plus tout résoudre seule. La zone euro a toutefois fait, ces dernières années, des pas importants vers une plus grande solidité. A chaque fois, lors des tempêtes qui l'ont frappée de plein fouet: crise financière, crise grecque, crise de la dette, pandémie de Covid-19...  "La crise du Covid a fait bouger les lignes", résume Bernard  Keppenne, économiste en chef de CBC Banque. "On a désormais une forme de mutualisation des dettes. Le plan de relance 'next generation EU' de la Commission compte une partie de prêts mais aussi une partie de subsides. L'Europe avance quand elle est au pied du mur."  "Jean Monnet disait que tous les grands pas d'intégration européenne ont été faits lors de crises. C'est ce qu'on a vu lors des crises des dernières années", abonde Peter Vanden Houte. "Les Allemands ont fini par accepter que la BCE rachète de la dette publique. Ce sont les pays les plus faibles qui vont toucher le plus de fonds du plan de relance européen. C'est déjà une forme de solidarité européenne. On avait un budget européen et on a maintenant en quelque sorte une capacité d'emprunter. On parle aussi de la possibilité de lever certains impôts au niveau européen, par exemple sur le plastique. On a déjà fait des pas dans la zone euro qu'on n'aurait jamais imaginés lors de sa création." Si la zone euro semble moins fragile aujourd'hui qu'il y a quelques années, certaines faiblesses demeurent, tout comme le grand écart économique entre certains pays du nord et du sud du continent. Des Etats ont profité des taux bas pour nourrir leur croissance par l'endettement avant de voir ce modèle leur exploser à la figure lors des crises financières et des dettes souveraines. D'autres nations sont empêtrées dans des problèmes structurels. "Cela peut paraître invraisemblable mais un pays comme l'Italie a connu une croissance si faible depuis la crise financière que son PIB n'a toujours pas retrouvé aujourd'hui le niveau qui était le sien avant 2008", illustre Peter Vanden Houte. Et quid si la BCE venait à relever ses taux? Ce qui semblait impensable il y a peu pourrait redevenir possible si l'inflation demeure à des niveaux très élevés. "Cela toucherait en premier les pays les plus endettés. Ce n'est pas un risque immédiat, mais il existe", prévient l'économiste L'assurance-vie de l'euro ne se trouve peut-être pas tant dans les fondamentaux macro-économiques que dans le soutien populaire. Cela peut paraître surprenant, mais la monnaie unique est plus populaire que jamais, à en croire les derniers sondages commandés par la Commission européenne. Ainsi, près de 80% des citoyens des pays de la zone auraient une opinion positive de l'euro. Et puis, on l'a vu avec la crise grecque, quitter l'eurozone ne se fait pas d'un coup de cuillère à pot. Ni politiquement, ni économiquement. "On dit parfois qu'il faut considérer la zone euro comme une omelette. On a mélangé les ?ufs. Et après coup, cela devient très difficile de sortir des ?ufs de l'omelette. Je trouve que cette image est bien trouvée", conclut Peter Vanden Houte. Alors, l'euro, réussite ou échec? Pour Bernard Keppenne, c'est plutôt une "demi-réussite" mais "certainement pas un échec." "Comme le disait Jacques Delors, avec l'euro, on a bâti une maison. On a fait le toit mais on a oublié les fondations que sont l'Europe sociale, l'Europe bancaire, l'harmonisation fiscale et sociale. Il faudrait un seul ministre des Finances pour l'Union européenne, mais ça, je crains que cela ne soit pas pour demain...". (Belga)

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