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La France lance une nouvelle forme d'enquêtes criminelles: voici les 9 hommes visés

Les proches d'Isabelle Mesnage, tuée en 1986 dans le Nord de la France, ont dû attendre juin 2022 pour que son meurtrier, Jacques Rançon, soit jugé. Pour résoudre plus rapidement des affaires criminelles non élucidées, un nouveau type d'enquêtes, "parcours criminel", vient d'être mis en place en France.

Patrice Allègre, Nordahl Lelandais ou Pascal Jardin, coupable du meurtre d'une des disparues de l'A6: le pôle national dédié aux cold cases basé à Nanterre a ouvert, depuis son lancement il y a un an, neuf dossiers de ce type. Les neuf criminels visés ont déjà été condamnés "définitivement" pour des crimes sériels, précise le pôle cold cases, sollicité par l'AFP. Mais des soupçons pèsent sur d'autres crimes qu'ils auraient pu commettre. Pour tenter de réduire ce chiffre noir des victimes non identifiées d'un criminel, la justice peut utiliser depuis décembre 2021 un nouveau cadre procédural, le parcours criminel.

Il va permettre à un magistrat d'enquêter non pas sur un fait donné comme c'était le cas jusqu'ici, mais sur l'ensemble du parcours de vie d'un mis en cause, en cherchant des correspondances avec des affaires non élucidées.

Les familles comptent sur nous


"Tout bon enquêteur (...) travaillait déjà dans cet état d'esprit", en s'interrogeant sur les autres crimes qu'un auteur aurait pu commettre, explique Franck Dannerolle, chef de l'Office central pour la répression des violences aux personnes (OCVRVP).  Mais policiers et gendarmes se heurtaient à des problèmes de temps - ce type d'enquêtes nécessitant des investigations très longues et poussées - ou des obstacles liés aux compétences territoriales des juridictions. "A cause de cela, on est passé à côté d'autres victimes de Michel Fourniret et de Francis Heaulme pendant très longtemps", assure Me Didier Seban. Avocat spécialiste des cold cases, notamment de la famille d'Estelle Mouzin, il plaide depuis longtemps pour la mise en place de ce type d'enquêtes.


Avec le parcours criminel, "on aurait pu voir que Jacques Rançon, le tueur de la gare de Perpignan, se trouvait dans la région d'Amiens au moment où il y a eu des disparitions dans cette zone", affirme Corinne Hermann, autre avocate spécialiste du sujet. "On aurait pu joindre les enquêtes plus tôt", dit-elle, et il n'aurait sans doute pas attendu 34 ans pour être jugé.

"Mémoire criminelle"

Les enquêteurs chargés de ces neuf dossiers vont commencer par relire l'ensemble attentivement, avant de "gratter" partout où ils le peuvent, pour retracer la vie du mis en cause dans les "moindres détails", explique la lieutenant-colonel Marie-Laure Brunel-Dupin, chef de la Division des affaires non élucidées (Diane) de la gendarmerie, où une unité est dédiée aux parcours criminels.  "Les lieux où il résidait, les jours où il travaillait ou ses séjours touristiques" seront scrutés, des proches auditionnés, des photos d'époque ou des documents officiels récupérés. Cela peut même aller jusqu'aux "bulletins scolaires" pour "remonter à ses professeurs, ses camarades".


"C'est sans limite", ajoute Virginie, cheffe de groupe sur les crimes sériels à l'OCRVP, qui préfère rester anonyme. Il faut "aller le plus loin possible pour essayer de ne passer à côté de rien", même si cela doit prendre "10-15 ans", ajoute-t-elle. "Les familles comptent sur nous". Ce parcours sera ensuite mis en regard d'affaires non élucidées, pour voir si une "personne disparue ou morte n'a pas croisé sa route", résume Me Hermann, qui y voit une "révolution" de "notre droit", avec une "approche plus anglo-saxonne".
Des difficultés, inhérentes à ce type de dossiers, vont subsister, observent les enquêteurs. Gendarmerie et police s'accordent ainsi sur la nécessité de constituer une mémoire criminelle plus précise.


Aujourd'hui, "l'archivage criminel est trop épars", regrette Franck Dannerolle, qui milite pour la création d'"une nouvelle base nationale commune, avec tous les crimes non élucidés, mais aussi les disparitions de personnes ou les suicides suspects". Sur ce sujet, la "réflexion est en cours", assure le patron de l'OCRVP. Parfois, des procédures ou des scellés ont été "détruits" en raison des règles légales sur la durée de conservation, regrette en outre la lieutenant-colonel Brunel-Dupin. "Le système juridique n'avait pas anticipé que 20 ans après des affaires allaient être retravaillées et élucidées", analyse-t-elle. Elle plaide également pour un changement de législation sur la prescription, puisque la société "a décidé de ne plus oublier". 
 

A ce stade, neuf hommes, déjà condamnés pour viols ou meurtres, sont visés par des enquêtes dites de "parcours criminels". Policiers et gendarmes vont retracer leurs parcours, à la recherche d'autres victimes.

Nordahl Lelandais, l'ombre d'un tueur en série

L'ancien militaire a déjà été condamné à la perpétuité pour le meurtre en 2017 de la petite Maëlys de Araujo et à vingt ans pour celui du caporal Arthur Noyer. 
Avant de faire l'objet d'une enquête "parcours criminel", 40 dossiers (concentrés en Auvergne-Rhône-Alpes, la région de Lelandais) avaient été ciblés par les enquêteurs. Dont celui du Fort de Tamié, où deux hommes ont disparu à un an d'écart à la sortie d'un même festival de musique. Aucun des 40 dossiers n'avait pu lui être imputé.
 

Patrice Alègre, sept ans sans crime ?

Patrice Alègre, 54 ans, a été condamné en 2022 à la perpétuité assortie d'une période de sûreté de 22 ans pour le viol de six femmes et le meurtre de cinq d'entre elles. Une série de crimes commis entre 1989 et 1997. En revanche, le tueur en série avait bénéficié d'un non lieu pour cinq affaires de meurtres ou assassinats et pour un viol commis entre 1987 et 1992. Les enquêteurs chargés de réétudier son parcours vont se pencher sur la période 1990-1997, soit sept ans sans aucun crime, ce qui interroge vu son profil.

Patrick Trémeau, le "violeur des parkings"

Cet homme de 59 ans, surnommé le "violeurs des parkings", a été condamné pour 17 viols ou tentatives de viol commis principalement dans le XIe et XXe arrondissements de Paris et en région parisienne dans les années 1980 et 2000. Il agissait principalement la nuit et agressait ses victimes dans les parkings souterrains. Son parcours est entrecoupé de plusieurs arrestations et incarcérations.
 

Jacques Rançon, le "tueur de la gare de Perpignan"

Surnommé le "tueur de la gare de Perpignan", Jacques Rançon est l'un des rares criminels à avoir été condamné deux fois à la perpétuité. En 2018, pour les viols et meurtres de deux femmes à Perpignan en 1997 et 1998. Puis en 2022, en appel, pour le viol et le meurtre d'Isabelle Mesnage en 1986. Après un non-lieu en 1992, cette enquête avait été relancée en 2017 quand Corinne Herrmann, l'avocate de la famille Mesnage, avait fait le lien entre Jacques Rançon et la mort de la jeune femme. Cet ancien cariste a lui-même évoqué une victime à qui il aurait "coupé les pieds", ce qui ne correspond à aucun des dossiers pour lesquels il a été condamné.
 

Pascal Jardin et les "disparues de l'A6" 

Cet homme âgé d'une soixantaine d'années a été condamné en 2018 à la perpétuité pour le viol et le meurtre en 1996 d'une des disparues de l'A6, Christelle Blétry, tuée à 20 ans de 123 coups de couteau en Saône-et-Loire. L'affaire avait déclenché une mobilisation autour de plusieurs dossiers similaires, aussi connus sous le nom des "disparues de Saône-et-Loire".  Déjà condamné en 2004 pour tentative d'agression sexuelle, il n'est pas exclu qu'il ait pu commettre d'autres faits, notamment dans les Landes, où il avait refait sa vie avant son interpellation.

Le récidiviste Belge Willy Van Coppernolle

Ce multirécidiviste belge, aujourd'hui âgé de 79 ans, a été maintes fois condamné en Belgique, notamment pour agressions sexuelles. En France, il a été condamné en 1995 à la perpétuité assortie d'une peine de sûreté de 22 ans pour le meurtre et le viol d'Abdel, 11 ans, dans le Gard en mars 1993, ainsi que pour les viols de deux adolescents dans la même région quelques jours plus tard.

Pascal Lafolie, confondu par son ADN 27 ans plus tard 

Cet homme de 56 ans a été confondu en 2021 par son ADN pour un meurtre commis 27 ans plus tôt: celui de la lycéenne Nadège Desnoix, 17 ans, tuée en 1994 à Château-Thierry (Aisne). Interpellé en Ille-et-Vilaine où il vivait, il a reconnu le meurtre et a été mis en examen. Il avait déjà été condamné en 1997 et en 2002 pour des faits de viols et d'agressions sexuelles.

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