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Est-ce vraiment "bio" de vendre des pommes bio venant... d'Argentine?

C'est la question que s'est posée une cliente déçue. Nous avons enquêté sur la production de pommes bio en Wallonie. Nos interlocuteurs: la grande surface, la Région et le producteur.

Une femme a éprouvé de la déception quand elle a regardé la mention de la provenance des pommes bio qu'elle s'apprêtait à acheter dans un supermarché Delhaize du Brabant wallon. Cette mère de famille achète de plus en plus bio. Pour sa santé et celle de ses enfants. Pour favoriser une économie moins polluante et plus respectueuse de l'environnement. Pour pousser l'agro-industrie à changer. Alors, quand elle a lu "Argentine" sur l'emballage, dépitée, elle s'est posée la question: atteint-elle son but? Est-ce vraiment "bio" de faire venir des pommes bio d'au-delà de l'Atlantique, à plus de 10.000 km, étant donné le coût énergétique pour amener les fruits jusqu'à elle?


De plus en plus de consommateurs achètent du bio

Nous avons contacté Florence Maniquet, responsable de la communication chez Delhaize. L'enseigne au Lion est la première à avoir cru dans le bio en Belgique et propose aujourd'hui 600 produits propres et 350 autres sous d'autres marques, nous rappelle-t-elle. Une offre croissante qui répond à une demande en forte hausse. Même si la part du marché du bio reste très faible en Belgique (seulement 2,7% selon le bureau d'études Gfk), il séduit de plus en plus: +18% entre 2014 et 2015. C'est principalement dans les grandes surfaces que le client se fournit en bio (42% environ). La porte-parole confirme: le bio marche très bien. Mais est-ce une raison pour faire venir des pommes bio du bout du monde? Elle nous livre une explication.


En saison, les pommes proviennent de Belgique

La saison des pommes s'étend de mi-août à mi-avril. Pendant cette période, une grande variété de pommes belges est disponible. Florence Maniquet nous assure que Delhaize a pour principe de favoriser cette proximité: 85 à 90% des fruits de saison proposés poussent chez nous. "Quand on est en pleine saison, on propose jusqu'à une trentaine de variétés de pommes locales", déclare la porte-parole. Et par ailleurs, l'entreprise affirme privilégier un lien direct avec le producteur plutôt que passer par la criée ou des intermédiaires: "Un mode de fonctionnement davantage respectueux du producteur. Ils déterminent à l'avance un prix ensemble en fonction du coût du producteur et de ce qui est acceptable pour lui. Le producteur n'est dès lors plus soumis aux fluctuations du marché", se félicite la porte-parole.

Assurer une offre de pommes bio même hors saison

Mais à côté du local, un autre principe régit aussi l'offre de Delhaize: toujours garantir un minimum de variétés. La diversité pousse à consommer. Cela vaut pour toutes les tailles de commerces, de la grande surface comme Delhaize à des magasins plus petits. Ce n'est pas un expert en marketing qui le dit mais bien Marc Ballat, un producteur de pommes bio wallon que nous avons interrogé: "Les magasins bio que je fournis aiment bien avoir de la diversité dans l'approvisionnement pour satisfaire la plus large clientèle. La visite d'un client est plus rentable pour le magasin s'il a plusieurs variétés. Je l'ai remarqué quand j'ai fait quelques marchés. Je vendais plus quand j'avais 7 ou 8 variétés que quand j'en avais plus que 2 ou 3 à la fin."

Or, à partir de la mi-avril, il n'y a presque plus de pommes bio belges. À cette saison, on va encore pouvoir trouver davantage de pommes non bio car elles se conservent plus longtemps grâce au bain de fongicide dans lequel elles sont trempées avant d'aller au frigo. Pour rappel, après la cueillette, les pommes destinées à être vendues comme fruits de table sont stockées en chambre froide dans une atmosphère à l'oxygène raréfié afin de repousser le plus tard possible leur pourrissement.

Comme il n'y a presque plus de variétés belges vers la moitié du printemps (la Jonagold est l'une des dernières dans les rayons), observant son précepte d'assortiment varié, Delhaize va chercher ses fruits bio hors de nos frontières, et donc notamment, jusqu'en Amérique du sud, des pommes de la variété Gala, une variété qui de toute façon ne pousse pas en Belgique car elle réclame un climat plus doux. "Vous n'aurez pas des pommes bio toute l'année. Les grandes surface ont la possibilité de vendre des pommes bio toute l'année. Et donc, plutôt que de rater des ventes, ils préfèrent vendre des pommes qui viennent d'Argentine", estime Marc Ballat.

Delhaize est à la recherche de variétés qui "tiennent plus longtemps", nous explique la porte-parole. Mais on ne lance pas une nouvelle variété comme ça en un claquement de doigt. "Il faut compter environ 8 ans", précise la porte-parole.

Outre ce facteur de saison, la production de pommes bio en Belgique, et plus particulièrement en Wallonie, est-elle suffisante et répond-elle à la demande qui ne cesse de grandir?


Les Pays-Bas utilisent beaucoup de serres chauffées

Nous quittons Florence Maniquet, la porte-parole du Delhaize, pour Vanessa Poncelet de BioWallonie, la structure d'encadrement du secteur bio en Wallonie. "Clairement en Wallonie, la production ne répond pas à la demande en fruits bio parmi la population", nous apprend-elle. Nous lui faisons remarquer que nous voyons beaucoup plus de fruits et légumes bio issus des Pays-Bas. Elle confirme. "Mais ce pays utilise beaucoup de serres chauffées. Il faut savoir que dans sa philosophie, le bio n'encourage pas l'utilisation de serres chauffées, même si ce n'est pas interdit au niveau du cahier des charges. En Wallonie, on a très peu de producteurs qui fonctionnent avec des serres chauffées. Du coup, on est dans une production à moins grande échelle car on est très dépendant de la météo", nous explique Vanessa Poncelet. Confirmation de l'influence du temps par notre producteur, Marc Ballat. En 2012, il a perdu toute sa production de pommes en une nuit de gel survenue en pleine floraison au mois d'avril. "La grêle peut aussi être dévastatrice. Les fruits qui ont pris des coups ne pourront pas être écoulés comme fruits de table, ils devront être écoulés comme fruits de transformation. Dès lors, vous divisez la valeur par 4 ou 5", dit-il.


Les producteurs de pommes bio tiennent sur les doigts d'une main en Wallonie

Les arboriculteurs qui cultivent des pommes bio en Wallonie ne sont guère nombreux. Quelques-uns tout au plus. Parmi ceux-ci, il y a donc Marc Ballat. Cet ingénieur commercial de formation a plaqué son boulot dans l'informatique au sein d'une agence européenne en 2008 pour prendre en main une exploitation de huit hectares. Alors, la Wallonie n'est-elle pas à la traîne en terme de production de pommes bio? Pour lui, la réponse est non, il n'y a pas un gros écart entre offre et demande. "Ce n'est pas parce qu'il y a des pommes argentines qu'on pourrait les remplacer par des pommes belges car on n'est plus en saison", avance-t-il.


"Il est important qu'en bio, l'offre ne dépasse pas la demande. Sinon, ça va tirer les prix vers le bas"

Mais avant tout, l'arboriculteur estime qu'il ne faut surtout plus retomber dans les travers du modèle productiviste des dernières décennies qui plonge aujourd'hui le secteur agricole dans la "misère". "Il est important qu'en bio, l'offre ne dépasse pas la demande. Sinon, ça va tirer les prix vers le bas", raisonne-t-il.

Il détaille la logique infernale: "Si la production augmente plus vite que la demande, les prix vont baisser et donc la rentabilité va diminuer, et donc vous aurez à nouveau une course à l'extension, la formation d'entreprise plus grande pour pouvoir amortir le matériel et les frigos sur une plus grande production."

Aujourd'hui, pour une surface cultivable de même taille, faire des pommes bio s'avère plus rentable que faire des pommes non bio. Un avantage rendu possible par la différence du prix de vente. Ce qui, selon Marc Ballat, n'est pas "nécessairement le cas dans le lait où le différentiel de prix n'est pas énorme."


"Les prix bas sont incompatibles avec une exploitation respectueuse de l'environnement"

Marc Ballat pointe du doigt la grande distribution, axant toute sa politique sur les prix bas. Il la juge en partie responsable des grosses difficultés actuelles du secteur agricole. "À part Delhaize, je ne vois aucune chaîne de supermarchés qui ne fasse pas essentiellement sa publicité sur les prix, que ce soit Carrefour, Colruyt, et évidemment le hard-discount. Ce qu'ils mettent en avant, ce sont les prix bas. Les prix bas sont incompatibles avec une exploitation moyenne et respectueuse de l'environnement", réfléchit-il, avec un aphorisme sans appel: "La grande distribution est le problème, pas la solution."

Revenons là où nous avions commencé, à notre pomme d'Argentine et à la déception de la cliente. Finalement, et si la solution ne résidait pas, une fois de plus, dans les mains du consommateur. Tous nos interlocuteurs nous l'ont dit au cours de cette enquête. La meilleure façon de ne pas manger des pommes venant du bout du monde est peut-être simplement de manger surtout ce fruit en saison. "En Belgique, on a des pommes bio belges à partir de septembre jusque mars. Une fois qu'on est sortis de la saison, consommons d'autres fruits", propose Vanessa de BioWallonie.

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