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Et si le vainqueur des élections n'était pas celui qui le "mérite": un mode de scrutin différent pourrait bouleverser le paysage politique

Le mode de scrutin peut, à lui seul, déterminer les résultats d'une élection, et donc qui va être amené à diriger un pays. Cette affirmation n'est pas fausse. Mais elle n'est pas tout à fait vraie non plus. Parce que si la lecture des résultats peut être différente selon la façon dont on "compte", d'autres éléments sont à prendre en considération. Explications...

Une petite vidéo qui décortique différents modes de scrutin circule sur YouTube. "Il y a des projets qui émergent parfois de nulle part et qui rendent fier d'être dans un pays comme la Belgique, où des gens prennent la temps de faire ça", nous a ainsi prévenus Ethan, qui nous a transmis le lien de la vidéo en question via notre bouton orange Alertez-nous.

Si vous ne pouvez pas visualiser la vidéo ci-dessous, cliquez ici

Dans l'animation, on retrouve 5 candidats à une élection. Et, chose amusante, en fonction de la technique de comptage appliquée, on finit par avoir 5 vainqueurs différents. Cela signifie qu'en fonction de la manière dont on interprète les résultats, il pourrait y avoir différentes personnes amenées à diriger un pays. Mais tout cela mérite quand même d'être nuancé. "C'est certain que le mode de scrutin influence les résultats. Mais il faut aussi se poser la question de l'impact réel des différentes règles de comptage des voix", indique Pascal Delwit, politologue à l'ULB. "On ne peut ainsi transposer des résultats d'une élection à une autre dont le mode de scrutin est différent, car les gens s'adaptent", ajoute-t-il.

Dans la vidéo descriptive, il est donc intéressant de retenir les différentes façons dont on peut traduire les résultats d'une élection. Mais transposer cette vidéo à la réalité n'est pas correct, car les électeurs doivent connaître les règles du jeu avant de voter pour leur candidat (ou parti). Or, dans l'animation publiée sur YouTube, on ne retient que l'aspect théorique des choses. " Il ne faut pas oublier que les électeurs adaptent leur réflexion aux consignes de vote. Par exemple en France, on dit qu'on choisit au 1e tour mais qu'on exclut au 2e tour ", ajoute Pierre Verjans, politologue à l'ULG. On se souvient ainsi de l'exemple flagrant de 2002, où Jean-Marie Le Pen a atteint le second tour de l'élection présidentielle face à Jacques Chirac, mais où un "bloc" s'est formé pour empêcher le leader de l'extrême droite d'accéder au pouvoir. Dans les faits, Chirac a été élu avec plus de 82% des voix grâce au soutien massif de la gauche, qui a appliqué le concept du front républicain. Face au candidat socialiste Lionel Jospin, pourtant derrière Le Pen au premier tour, sa victoire n'aurait jamais été si écrasante. " Donc là on observe très bien que le comportement se modifie en fonction des résultats précédents ", ajoute Pierre Verjans.

"C'est tout le système qui est chamboulé"

Pour autant, répétons-le, la séquence, même si elle est très théorique, reste tout à fait correcte. "L'électeur va s'adapter, oui. Mais les résultats seraient quand même différents", insiste Dave Sinardet, politologue à l'université d'Anvers. Et plus que cela même, car c'est tout le système politique qui va s'adapter au mode de scrutin. "En effet, au-delà des résultats, c'est tout le système mis en place qui est chamboulé. Un système majoritaire pousse au bipartisme, alors qu'un système proportionnel tend au multipartisme", précise Pierre Verjans.

En sciences politiques, cela se résume avec la Loi de Duverger, qui est un principe qui affirme que le scrutin majoritaire uninominal à un tour tend à favoriser un système bipartite. Traduction: quand seul le plus fort est élu, les petits partis ont "perdu d'avance". Le système tend alors à ne laisser "en vie" que deux partis qui vont se disputer le pouvoir.

"Les conséquences d'un système à la place d'un autre sont très importantes sous cet angle. On va avoir des conséquences au niveau structurel: le système proportionnel, où chaque tendance est représentée, et qui entraîne des coalitions qui permettent d'obtenir une majorité et d'aller gouverner, alors que le système majoritaire débouchera sur une moins grande dispersion des votes, les électeurs se regroupant derrière un 'grand' parti pour que leur vote ne soit pas 'inutile'", précise Pierre Vercauteren, politologue à l'université de Mons.

"Mais il ne faut pas oublier l'aspect conjoncturel, qui va aussi fortement influencer les choix, comme l'état de l'opinion publique au moment de l'élection, surtout à l'égard des puissances traditionnelles. Par exemple, en France, on observe une certaine fatigue qui se traduit par des abstentions ou votes pour les extrêmes. Cette fatigue prend des formes très différentes en fonction des pays", ajoute-t-il.

Le programme politique "s'adapte aux règles"

Ces différentes règles du jeu en fonction des pays jouent donc un rôle important dans la traduction des résultats d'une élection, mais elles s'avèrent catégoriquement déterminantes dans le système politique mis en place, ainsi que dans la façon de "faire" de la politique". "Bien sûr que les politiciens s'adaptent aussi. Par exemple, dans une circonscription qui tend majoritairement à gauche, la droite va avoir tendance à se regrouper pour ne pas disperser ses forces et affronter l'opposant en front uni pour faire bloc, et vice-versa", indique Pascal Delwit.

En résumant à l'extrême, on peut donc prudemment avancer que la position adoptée par un politicien (ou un parti) dans un contexte ne serait pas la même dans un système politique qui présenterait un contexte différent. Son programme politique s'en retrouverait alors modifié. Les choix qui se présenteraient aux électeurs en seraient donc impactés.

La valeur démocratique remise en question ?

Ces théories développées ci-dessus s'observent dans la plupart des démocraties actuelles. L'adage bien connu selon lequel "le pouvoir appartient au peuple" prend donc différentes formes selon les systèmes en place, où les politiciens gardent néanmoins une part de "contrôle" de la situation. Mais y en a-t-il, pour autant, qui ne rentrent plus dans le cadre d'une démocratie ? "Il est difficile de dire s'il y a un système plus juste qu'un autre, car tous ces systèmes ont été élaborés au fil des ans, des contextes politiques, sociaux, économiques, etc... Mais on peut quand même se poser la question de la valeur démocratique d'un système majoritaire quand on observe les UKIP (parti eurosceptique et anti-immigration dirigé aux dernières élections par Nigel Farage) en Grande-Bretagne et les nationalistes écossais", s'interroge Dave Sinardet.

Pour résumer, les UKIP étaient arrivés 4e lors du dernier scrutin, mais n'ont obtenu... qu'un seul siège car leurs électeurs étaient très disperés, et du coup rarement majoritaires dans une quelconque circonscription. Les nationalistes écosais, par contre, ont obtenu bien moins de voix, mais ont obtenu 56 sièges car ils étaient majoritaires dans de nombreuses régions écossaises.

Le politologue anversois conclut qu'un système majoritaire "présente surtout une différence pour les petits partis. En Belgique, 5% va se traduire par quelques sièges au Parlement, voire même une présence au sein d'une coalition au pouvoir. En Grande-Bretagne, avec 5% vous n'êtes rien".

Y a-t-il un système plus juste ?

Mais comment se fait-il, dès lors, qu'autant de systèmes différents aient vu le jour au sein de sociétés qui se disent toutes démocratiques ? "Parce qu'il n'existe pas de système plus juste qu'un autre, parce que ça dépend de la culture politique de l'électeur", confie Pierre Vercauteren qui ajoute: "En Grande-Bretagne, le pragmatisme britannique l'emporte. En Belgique, on est plus modéré et on préfère un système qui offre une plus grande représentativité des résultats des urnes".

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