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"Je me suis dit Belgique + enfants... je vais travailler sur Dutroux"

Faire jouer l'affaire du tueur pédophile Marc Dutroux par des enfants au théâtre, c'est le pari du metteur en scène suisse Milo Rau, auteur de pièces en prise avec le réel comme les "Derniers jours de Ceaucescu" ou "Hate radio" sur le génocide rwandais.

Le 18 février, au théâtre MARS de Mons se jouait une pièce surprenante et interpellante: l'affaire Dutroux jouée par des enfants, en néerlandais. Jimmy Méo et Catherine Vanzeveren avaient recueilli les impressions des spectateurs visiblement très touchés par la mise en scène. Un programme surprenant, osé, qui peut faire peur à certains. Mais pourtant, à la sortie du spectacle, après une standing ovation, le public belge est passé de la larme au coin de l’œil au sourire ému.


Le metteur en scène s'exprime sur la pièce

"Five easy pieces" est montée au théâtre des Amandiers de Nanterre, en région parisienne jusqu'au 19 mars (avant Brighton en Angleterre, Ostende et Roulers en Belgique, Barcelone, ou Rotterdam). La pièce est né d'une commande du centre Campo à Gand, spécialiste du travail théâtral avec des enfants. "Lorsque Campo m'a demandé de travailler dans leur série de pièces d'enfants pour un public d'adultes, je me suis dit Belgique + enfants, je vais travailler sur Dutroux", explique le metteur en scène à l'AFP


Les grands traumatismes belges

"Dans mes précédents projets sur la Belgique, j'ai souvent croisé cette affaire Dutroux, qui réunit les grands traumatismes belges: les élites qui ne marchent pas bien, la fin de l'industrie minière, la perte des colonies, le père de Dutroux est né au Congo belge et y a vécu jusqu'à l'âge de six ans".

A la surprise de Milo Rau, les enfants sélectionnés au terme d'un très long casting (7 retenus sur 200 candidats) "connaissaient assez bien l'affaire. Mais pour eux, c'était un mythe, un conte, quelque chose d'éloigné. Pour de jeunes enfants, les années 90, c'est un peu comme la Deuxième Guerre mondiale pour nous".


Des conditions atroces

Ce qu'on a appelé "l'affaire Dutroux" s'est déroulé en 1995 et 1996. En juin 1995, Dutroux enlève Julie et Mélissa, deux petites filles de huit ans et demi et neuf ans, qu'il séquestre dans des conditions atroces dans une cache minuscule. Ce sont ensuite An et Eefje, 17 et 19 ans, qu'il décide d'éliminer, puis Sabine Dardenne, 12 ans, et enfin Laëtitia Delhez, 14 ans. Seules Sabine et Laëtitia, libérées après l'arrestation de leur tortionnaire le 13 août 1996, survivront.


Une plongée dans l'histoire de la Belgique

Dans la pièce, on verra une seule des victimes de Dutroux, Sabine, jouée par une petite fille de 9 ans, Rachel Dedain. Autour d'elle, les acteurs-enfants incarnent le père de Marc Dutroux, les policiers chargés de la reconstitution, le roi des Belges, Patrice Lumumba... Loin de se borner à reconstituer l'affaire Dutroux, la pièce est à la fois une plongée dans l'histoire de la Belgique et le "making off" d'un atelier de théâtre enfantin.


"Un des derniers tabous de notre temps"

"Il y a dans la pièce des moments documentaires purs mais aussi beaucoup d'éléments venus des enfants, de ce qui s'est passé pendant les répétitions, qui ont duré six mois", raconte Milo Rau. "C'est aussi pour ça que la pièce a pris cette forme d'une petite école de théâtre: comment jouer un vieillard, comment montrer une émotion, quelle est la relation entre le metteur en scène et l'enfant".

Le spectateur est à la fois subjugué par la présence scénique des enfants, ému, et profondément dérangé par le contraste entre l'acteur enfantin et les faits relatés.

"C'est un thème qui m'intéresse dans le théâtre depuis toujours, le statut du spectateur, le voyeurisme, ce qui se passe quand on regarde des enfants jouer cette affaire qui est peut-être un des derniers tabous de notre temps, la pédophilie, la mise en scène du corps de l'enfant et de l'émotion de l'enfant", explique Milo Rau.


Une fin très poétique

La pièce n'est à aucun moment impudique, et ne met jamais en péril les enfants, parfaitement maîtres de leur jeu et conscients de la différence entre leur personnage et leur vrai "moi". L'un réclame immédiatement le rôle du roi, le second veut jouer "les vieux", le troisième affiche son amour de la police et de l'uniforme.

Une fin très poétique permet de s'échapper de la noirceur du propos. La pièce s'inscrit dans une trilogie sur l'histoire du théâtre dont Milo Rau prépare le dernier opus, autour de l'occupation du théâtre de l'Odéon à Paris en mai 1968.

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