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Ces élèves qui ne croient pas en l'Evolution: "Nous ne sommes pas des animaux, nous ne pouvons donc pas descendre d’animaux plus anciens"

Telle qu’enseignée en Fédération Wallonie-Bruxelles, la sciences rejette tout précepte philosophique. Elle repose sur un pacte tacite qui, depuis le XVIIIe siècle, la sépare clairement de la religion. Mais l’école existe au coeur d’une société où quelques-uns refusent cette séparation et entendent répondre à la question des origines par le seul prisme religieux. Le magazine de reportages long format 24h01 est parti à la rencontre d'élèves, d'enseignants ou encore d'aspirant à l'enseignement pour

Au cours du XIXe siècle, l’anthropocentrisme, une conception philosophique au coeur des "trois religions du Livre" (judaïsme, christianisme et islam) qui considère l’homme au centre de la création, reçut un violent coup de boutoir. On savait, depuis Nicolas Copernic, que la Terre tournait autour du Soleil, et non l’inverse, et donc que la Terre n’était pas au centre de l’univers. Et voici qu’en 1830, aux Awirs, sur le territoire de la commune de Flémalle près de Liège, furent découverts pour la première fois des restes d’homme
de Néandertal (une espèce humaine distincte de notre espèce humaine actuelle, homo sapiens): l’homme d’Engis. En 1859 paraissait
L’origine des espèces, de Charles Darwin : l’homme n’était plus au sommet de la création. Aussitôt, l’establishment scientifique de l’Église d’Angleterre se montra hostile envers cette théorie qui se révélait contraire aux affirmations de l’Ancien Testament. L’année suivante,
lors d’une conférence épiscopale à Cologne, l’Église catholique affirma la nécessité d’une intervention divine pour conférer à l’univers son existence et ses lois. Nécessité réitérée lors de l’apparition et l’évolution de l’homme. Une position constante depuis, à quelques nuances près.


Deux élèves d'une classe du secondaire à Schaerbeek: "Nous ne pouvons pas descendre d’animaux plus anciens"

"C’est dans tous les livres sacrés : la Torah, la Bible et le Coran. Le monde a été créé tel qu’il est aujourd’hui." Hachem et Zilal sont assis côte à côte. Zilal porte une barbe encore clairsemée. L’un et l’autre n’ont guère plus de seize ou dix-sept ans. "Nous ne sommes pas
des animaux. Nous ne pouvons donc pas descendre d’animaux plus anciens. Et les livres sacrés disent que nous descendons tous d’Adam." Dans cette classe d’une école de Schaarbeek, ils ne sont que deux à réfuter ouvertement la théorie de l’évolution. Pourtant,
dans une étude de 2005, Laurence Perbal, aujourd’hui docteur en philosophie des sciences à l’ULB, affirmait que plus de 80 % des jeunes qui s’identifientcomme musulmans se méfient de cette théorie.


Le Turc Harun Yahya diffuse vidéos et livres sur le "Mensonge de l'évolution" jusque dans les boîtes aux lettres de Bruxelles

Principal responsable de cette méfiance : un Turc qui se fait appeler Harun Yahya et répand depuis un grand nombre d’années des vidéos sur Internet et des livres remettant en cause la théorie de l’évolution. Il a, à plusieurs reprises, effectué des envois massifs de ses
ouvrages en Europe et aux États-Unis : en 2007, plusieurs écoles francophones reçurent L’atlas de la création, face auquel Marie Arena, alors ministre de l’Enseignement obligatoire en Communauté française, émit une circulaire de mise en garde "contre les valeurs
véhiculées dans ce document." Plus récemment, au début de l’année 2014, nombre de boîtes aux lettres bruxelloises, en particulier à Jette, se garnirent de livres envoyés gracieusement par le même Yahya, dont le très explicite Mensonge de l’évolution. Des livres où la
théorie de l’évolution est vilipendée de manière simpliste, allant jusqu’à trouver une cause darwiniste au nazisme !


Le Coran traite de la création de l’être humain par Dieu, non des mutations des espèces

Pour autant, que des élèves musulmans, choqués par l’enseignement de la théorie de l’évolution, quittent le cours en masse relève des légendes urbaines. "Je vais tenter de réussir mes contrôles. Mais je ne crois pas ce que je dois étudier. Après, je vais tout jeter au bac. Si je veux réussir le cours, je dois l’apprendre. Mais je n’y crois pas." À ces propos qu’il a souvent entendus, l’anthropologue algérien Malek Chebel (1) réagit en rappelant, d’une part, que le Coran traite de la création de l’être humain par Dieu, non des mutations des espèces, et ensuite que l’islam classique préconise le recours à la science pour toutes les questions en suspens.


L'école: un endroit où "chacun est invité à suspendre ses croyances, pour éventuellement y revenir avec une pointe d’autonomie"

Mais le mot est lâché : croire. "Notre vision de l’enseignement s’inscrit sans réserve dans l’esprit de la Modernité et des Lumières." Marie-Martine Schyns, ministre de l’Enseignement obligatoire au moment de notre rencontre, affirme résolument la position officielle du gouvernement. "Notre enseignement vise à former des citoyens capables de penser par eux-mêmes, capables d’abord de raisonner à partir d’une information correcte et d’intégrer ensuite le discours scientifique, tout en le sachant en perpétuelle évolution. [...] Il souscrit
donc aux données de la science devenues incontestables, parce que prouvées en raison." Avant d’être ministre, Marie-Martine Schyns était enseignante. Une enseignante qui se révèle quand elle développe ses arguments. "Je reprendrais la formule de Catherine Kintzler (2) : l’école est ce moment critique où chacun est invité à suspendre ses croyances, pour éventuellement y revenir avec une pointe d’autonomie."


Agnès, Témoin de Jéhovah: "Ce canard descendrait des dinosaures?! Quelle bêtise!"

L’homme ne descend pas du singe Ces dernières années, la génétique et la paléontologie ont révélé une réalité bien pire que celle qui choquait les antidarwinistes : l’homme ne descend pas du singe, l’homme est un singe parmi d’autres. Il partage avec le chimpanzé 98,8 % de sa séquence d’ADN. Il existe de ce point de vue moins de différences entre eux qu’entre ce même chimpanzé et l’autre cousin le
plus proche, le gorille. Une proximité qui implique inévitablement une ascendance commune. Ce qui heurte profondément Agnès. "Je ne comprends pas qu’on puisse enseigner la théorie de l’évolution et affirmer en plus qu’elle est la seule qui puisse être dispensée. Ce n’est même pas une véritable théorie scientifique. Au mieux, c’est un bon programme de recherche métaphysique. Au pire, juste une suite de supputations invérifiables par l’expérimentation." Agnès n’a pas encore 25 ans. Un top asymétrique et un sarouel, tous deux en lin, la différencient clairement de l’image d’Épinal du Témoin de Jéhovah en costume ou en tailleur, prédicateur porte après porte, la serviette à la main. Depuis deux ans, elle suit des cours du soir en psychopédagogie.

Elle voudrait devenir enseignante, mais elle ne sait pas encore si sa congrégation l’y autorisera. "Dieu n’a pas besoin de faire d’essai. Cet oiseau-là (elle désigne un canard qui s’égaille dans un cours d’eau en contre-bas), il descendrait des dinosaures ?! Quelle bêtise ! Le monde a été créé en six jours. Le texte est très clair. Les évolutionnistes ont...LIRE LA SUITE DANS LE MAGAZINE 24h01

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