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L'Onem a durci ses contrôles et rayé du chômage Maria, malvoyante et handicapée à plus de 66%: elle réclame une compensation

Maria a 27 ans et habite dans la province de Liège. Cette femme mariée et mère de deux enfants est malvoyante à 95 % et sans emploi. C'est après avoir découvert, il y a moins d'un mois, qu'elle avait été "rayée du chômage" depuis le 1er janvier qu'elle a décidé de nous contacter, via la page Alertez-nous, pour crier sa colère et nous raconter son histoire.

Maria est malvoyante depuis sa naissance très prématurée il y a 27 ans. Elle est née à seulement 22 semaines de grossesses (5 mois et demi), un stade où le taux de survie du bébé n'est que de 15 %.

"Je vois les couleurs, les reliefs et les formes, je perçois les contours de la figure d'une personne, mais je ne vois pas ses yeux ou son nez", décrit-elle.

Tout d'abord scolarisée dans un établissement d'enseignement spécialisé, cette Liégeoise a intégré une école "ordinaire" à ses 9 ans, à la demande de sa mère. "Ma maman a eu raison. Je n'ai jamais voulu être avec les mêmes personnes que moi, je voulais être considérée comme normale", nous confie-t-elle.

Un choix qu'elle ne regrette pas aujourd'hui. "Les écoles spécialisées qui accueillent les malvoyants, aveugles et sourds-muets ont tendance à les abrutir alors qu'on devrait considérer ces gens-là tout à fait normalement, estime-t-elle. Sans être méchante, quand vous sortez d'une telle école vous avez appris à planter des fleurs mais ils ne vous forment pas à un vrai métier", a-t-elle pour opinion.


Moqueries, bousculades et incompréhension

A partir de sa 4ème primaire, Maria a donc suivi un enseignement "ordinaire", sans grande difficulté. Mais, à l'adolescence, les choses ont changé, dit-elle. A partir de la 3e secondaire, "les moqueries et bousculades" sont devenues monnaie courante pour la jeune adolescente qui affirme avoir également dû faire face à "l'incompréhension de certains professeurs". Maria se souvient notamment de sa professeure de dessin: "Elle ne comprenait pas que je n'aie pas les mêmes capacités que mes camarades et me blâmait régulièrement."

Nombreuses ont été les fois où l'adolescente a voulu tout arrêter et quitter l'école mais sa maman l'a soutenue et l'a encouragée à continuer. C'est ce qu'elle a fait.


"Je ne précise jamais que je suis malvoyante"

En 2007, Maria a obtenu son CESS (Certificat d'enseignement secondaire supérieur) en secrétariat. Depuis, elle a cherché du travail, sans résultat. La raison ? Son handicap, elle en est persuadée. "Je ne précise jamais que je suis malvoyante, je mets juste mon numéro AWIPH (Agence wallonne pour l'intégration des personnes handicapées) sur mon CV, précise-t-elle. C'est seulement lorsqu'on m'accorde un entretien que j'explique ma situation et que les employeurs me disent non."


"Des réponses faciles et un peu bêtes"

Toutes les excuses sont bonnes visiblement: "Ils me disent que je n'y arriverai pas ou bien qu'ils n'ont pas le temps de me former. Parfois ils invoquent la longueur des démarches administratives pour obtenir des primes". Des réponses non seulement faciles mais aussi "un peu bêtes" pour la jeune femme, compte-tenu des "belles primes de compensation que l'AWIPH peut leur accorder". Ces primes peuvent "facilement monter à 20.000 euros", elle l'assure, puisque l'organisme public "finance également le matériel (TV loupe, logiciel d'agrandissement pour ordinateur... ndlr.) et paie les personnes qui doivent nous former."


Une dispense de l'ONEM pour reprendre ses études

En 2014, sept ans après avoir terminé ses études, Maria n'a toujours pas décroché le moindre emploi. Entre temps son état de santé s'est dégradé. Elle a appris, en avril, qu'elle est épileptique, une autre conséquence de sa naissance prématurée. Mais sa situation lui permettait tout de même de travailler. En mai, la jeune femme a donc postulé dans une entreprise de travail adaptée (ETA), encore une fois sans résultat.

Devant les difficultés rencontrées pour trouver un travail, Maria a décidé de reprendre ses études en septembre. "Quand je vois les diplômes qu'il faut maintenant, mon diplôme ne vaut plus rien", lâche-t-elle. Elle a obtenu une dispense de l'ONEM (Office national de l'emploi) pour pouvoir étudier tout en continuant à percevoir ses allocations chômage, et c'est donc vers un cursus supérieur que la jeune femme s'est orientée.

Seulement voilà, en octobre, son état de santé s'est aggravé et Maria a été contrainte de tout arrêter: "C'est seulement au mois de janvier qu'on est parvenu à stabiliser mon épilepsie et que mon état de santé s'est rétabli."


"L'ONEM m'a rayée"

Depuis sa première année de chômage, Maria touche des allocations de l'ONEM à hauteur de 420 euros mensuels. Elle perçoit également l'allocation d'intégration pour personnes handicapées (environ 500 euros par mois). Au total, un peu moins de 1000 euros donc, ce qu'elle considérait jusque-là comme suffisant parce que son mari travaille de son côté.

En maladie jusqu'au 31 janvier, Maria s'est remise sur le marché du travail le 1er février. C'est à ce moment-là qu'elle a découvert que l'ONEM l'avait "rayée". En cause, la fameuse loi fédérale votée sous le gouvernement Di Rupo qui limite à une durée de trois ans le droit à l’allocation d’insertion (ex-allocations d’attente). La loi étant entrée en vigueur le 1er janvier 2012, c’est donc au 1er janvier 2015 que ses premiers effets se sont fait ressentir avec les premières exclusions du chômage prononcées par l’ONEM: 16.900 personnes seraient concernées.

Cette mesure, Maria en avait entendu parler mais avoue ne pas vraiment s'en être inquiétée après avoir appris qu’une prolongation de deux ans pouvait être octroyée aux personnes reconnues inaptes à travailler à plus de 33 %, ce qui est son cas depuis 2008.


Exclue du dispositif, comme près de 1.200 autres personnes handicapées

Sauf que les personnes souffrant d’un handicap grave (minimum 66 % d’incapacité de travail) sont purement et simplement exclues de ce dispositif et se retrouvent donc privées de la possibilité de prolongation de deux ans offerte à d'autres personnes handicapées. Et Maria, à sa grande surprise, a tout récemment appris qu'elle en faisait désormais partie. "En constatant que le SPF Sécurité sociale chiffrait mon handicap à 66 %, l'ONEM en a profité pour reconvertir ce chiffre en inaptitude permanente au travail alors que ce sont deux chiffres différents avec des critères d'évaluation différents, explique-t-elle. Mon état de santé ne s'est pas aggravé, aucun médecin de l'ONEM n'est venu m'examiner depuis 2008, mais cela ne les a pas empêchés de me déclarer en incapacité de gain."


Les contrôles de l'ONEM se sont durcis

En réalité, son état de santé ne s'est certes pas aggravé mais ce sont les contrôles de l'ONEM qui se sont durcis, comme l'explique un expert de l'organisme public que nous avons contacté.

"A l'époque où l'examen médical de cette dame a été pratiqué, les médecins de l'ONEM n'examinaient pas systématiquement (comme ils le font aujourd'hui) l'absence de capacité de gain (autrement dit si l'inaptitude au travail est supérieure à 66 % ndlr.) mais leur rôle se limitait à vérifier si la personne concernée justifiait ou non d'une inaptitude permanente au travail de 33 % au moins."



Les critères d'évaluation de l'ONEM et du SPF Sécurité sociale sont différents


L'expert de l'ONEM confirme les propos de Maria, à savoir que les critères d'évaluation de l'ONEM et du SPF Sécurité sociale sont différents: "L'ONEM se base sur les critères d'évaluation appliqués dans le cadre de l'assurance maladie-invalidité (qui font référence à une réduction de la capacité de gain et à une éventuelle absence de cette capacité) alors que le SPF Sécurité sociale fixe un pourcentage en fonction d'un barème de handicap et la gravité de celui-ci et évalue également la réduction de l'autonomie de la personne concernée dans les actes de la vie quotidienne (s'habiller, se nourrir, se déplacer...)."

Selon son représentant, "l'ONEM n'a pas pris l'initiative de revoir son pourcentage à la hausse mais a tenu compte de l'attestation du SPF Sécurité sociale que cette dame lui a délivrée."


"Les deux médecins peuvent avoir raison"

La différence entre ces pourcentages n'est pas non plus étonnante pour Thierry de Cuyper, médecin auprès du SPF Sécurité sociale qui explique que "le médecin de l'ONEM a répondu à la question qui lui a été posée en confirmant que cette dame a une incapacité de travail d'au moins 33 %. Le médecin du SPF Sécurité sociale, de son côté, a dû déterminer si oui ou non cette dame avait 66 % d'incapacité, parce que nous avons d'autres règles pour percevoir des allocations. Les deux médecins peuvent tout à fait avoir raison."


Une compensation auprès du CPAS ou du SPF Sécurité sociale

Maria s'est alors redirigée vers le SPF Sécurité sociale mais également le CPAS pour chercher une compensation à la perte de ses allocations de chômage, comme près de 1.200 autres personnes qui seraient concernées.

"Il y a tout un travail qui se fait au SPF Sécurité sociale pour que les personnes handicapées qui ont perdu leurs allocations chômage puissent avoir leurs dossiers rapidement traités et percevoir les allocations auxquelles elles ont le droit du fait de leurs pertes de revenus, assure Thierry de Cuyper. A partir du moment où les revenus de quelqu'un diminuent, tous les calculs vont être refaits chez nous et les différentes allocations peuvent être augmentées."

Mais il n'y aura aucune compensation. En effet, la Liégeoise n'a droit ni au CPAS parce que son mari gagne plus de 1089 euros par mois, ni à l'allocation de remplacement de revenus parce qu'il touche plus de 12.000 euros par an. Et son revenu d’intégration pour handicapés n’a pas non plus augmenté. Les augmentations d’allocations ne profiteront donc pas à tous visiblement.

"On arrive à vivre avec le salaire de mon mari (1500 euros pour 4) mais la situation devient de plus en plus compliquée", confie Maria. Une situation qui la désespère d'autant plus que si elle avait continué à étudier, elle aurait conservé ses allocations chômage jusqu'à la rentrée. "Et si j'avais réussi ma première année, j'aurais eu une dispense pour la deuxième puis pour la troisième année", poursuit-elle. La jeune femme envisage de reprendre ses études au mois de septembre si elle n'a pas trouvé d'emploi d'ici-là.


"Les handicapés doivent rester avec les handicapés"

Face à cette perte nette de 400 euros par mois, Maria a décidé de réagir pour tenter de conserver ses allocations de chômage. Elle a d'abord contacté le bureau de l'ONEM à Liège qui lui a répondu qu'il n'y avait aucun recours possible de son côté étant donné que "c'est au niveau fédéral que cela s'est décidé".

Lundi dernier, c'est donc directement le siège social de l'ONEM, à Bruxelles, que Maria a décidé de contacter. Son interlocutrice lui a alors signifié que l'ONEM ne traitait plus les cas des chômeurs avec une incapacité de travail supérieure ou égale à 66 %. "Elle m'a également déclaré ne pas comprendre pourquoi j'avais touché des allocations chômage, affirme Maria. Je l'ai pris comme si on me mettait dans un camp de concentration, les handicapés doivent rester avec les handicapés."


"Une solution sera trouvée dans les prochains jours"



A la fin du mois de janvier, le Ministre de l'Emploi Kris Peeters avait indiqué qu'une "solution sera trouvée dans les prochains jours", sous la forme d'une allocation de remplacement pour les 1.200 personnes handicapées en incapacité de gain à l'ONEM, qui sont dans le même cas que Maria. Or rien n'a vraiment changé depuis.

Nous avons donc contacté le Ministre pour connaître les modalités de cette compensation. De manière générale, "les chômeurs qui perdent leurs allocations d'insertion professionnelle obtiendront une compensation du CPAS, a assuré le représentant du gouvernement fédéral. Cette recherche est en cours, le SPP Intégration sociale s'en occupe." Pour le cas particulier des personnes handicapées, "les chômeurs avec une inaptitude permanente au travail de 66 % au moins auront une compensation de la Direction générale des personnes handicapées", a redit le Ministre. Kris Peeters confirme donc son engagement du mois de janvier en indiquant que les personnes qui n'ont pas le droit à une prolongation de leurs allocations d'insertion toucheront, soit une allocation du CPAS, soit une allocation relative à leur handicap, sans toutefois donner de date quant à l'entrée en vigueur de cette nouvelle mesure.

Cette indemnité, Maria l'attend avec impatience. La jeune femme se dit aujourd'hui dans l'impasse: "Si je ne trouve pas de travail aujourd'hui, je n'ai plus le droit aux allocations, et si j'en trouve un, l'employeur ne m'engagera pas parce qu'il n'aura pas le droit aux primes de compensation."

@LucasBabillotte

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