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Nanar, réfugié syrien à Bruxelles depuis 1,5 an: "Les Syriens sont fiers, demander de l'aide nous blesse"

NANAR | 26 ANS | BRUXELLES | ARRIVÉ LE 21 FÉVRIER 2016

Nanar est arrivé avec un visa étudiant émis au Liban, après avoir obtenu l’accord d’entamer un master à l’université internationale de Kent établie dans notre capitale.

Lorsqu’il a quitté Homs, une des premières villes syriennes durement frappées par la guerre, le jeune homme donnait des cours d’anglais à l’université et exerçait en parallèle une fonction de coordinateur au sein du Croissant rouge.

Aujourd’hui, Nanar vient de décrocher un master en relations internationales et veut poursuivre ses études par une doctorat, convaincu qu’il pourra davantage aider son pays avec une formation poussée qui lui permettrait, par exemple, de jouer un rôle important dans une ONG.

Pourquoi as-tu quitté la Syrie ?

Ce pays est mort à bien des niveaux, le plus évident étant la destruction des bâtiments et des infrastructures que tout le monde peut constater. Quand je suis parti après cinq ans de guerre, il n’y avait plus d’espoir.

Les combats et bombardements ont cessé à Homs mais il y a beaucoup d'attentats suicides. On en a dénombré 64 depuis le début de la guerre. Chrétiens, alaouites, sunnites: les bombes humaines frappent les civils de toutes les communautés. Tout le monde semble se battre contre tout le monde.

Les gens sont fatigués. Personne ne peut continuer une vie normale dans ces conditions. Tu te retrouves dans un camp ou dans l’autre, pas nécessairement celui du régime ou de l’opposition, mais aussi d'autres groupes. Tu es happé par la guerre, pour combattre ou la subir, surtout si tu es un homme.

J’ai quitté mon pays au moment où les gens avaient déjà commencé à craquer. La société syrienne s'est fracturée. Il y a ceux qui ont grandi dans la culture des temps de paix et puis les plus jeunes qui ont principalement connu la guerre. Je me sens béni par rapport à eux. Ils n’ont jamais connu la Syrie des gens qui s’aimaient, donnaient, accouraient pour apporter leur aide, tout ça ils ne l’ont jamais vu. Un gars de 18 ans n’aura vu que l’énergie déployée par son père pour pouvoir boire et manger.

Dans le passé, c'était vraiment différent. Pendant la guerre en Irak, tous les habitants de Homs collectaient de l’argent pour aider les Irakiens. Même chose pendant la guerre au Liban en 2006. Beaucoup de Libanais se sont réfugiés dans notre ville, située à proximité de leur pays, et nous étions contents de les accueillir. En 2008, nous avons aussi porté assistance à la Palestine. Les Syriens aimaient donner, aider. 

Mais tout ça a disparu. Maintenant, les gens ne peuvent s'en tenir qu'à la survie avec leurs enfants. Il n’y a pas seulement la destruction des villes et les morts, il y a aussi la disparition d’une identité culturelle qui s’exprimait à travers l’hospitalité et l’entraide.

Comment es-tu arrivé en Belgique ?

Je suis venu du Liban avec un visa étudiant. Je l’ai fait dans ce pays voisin parce qu’il n’y a pas d’ambassade belge en Syrie. Le voyage a été facile, j’ai seulement dû attendre 8 heures à la frontière entre la Syrie et le Liban. Les douaniers sont durs et haineux avec les Syriens.

Je suis arrivé en Belgique pendant la période des attentats de Bruxelles. L’ambassade belge a mis plus longtemps à me donner mes papiers parce que j’étais syrien et que ça les "effrayait".


Te rappelles-tu ton premier jour ici ?

Je suis arrivé dans la nuit. La première chose que j’ai remarquée, ce sont les lumières. Quand j’ai quitté Homs, tout fermait à 8 ou 9h, nous n’avions plus d’électricité depuis un bon moment.



Comment as-tu été accueilli ?

J’ai visité 44 appartement. J’ai été refusé à chaque fois. Certains invoquaient mon statut d'étudiant, mais la plupart pointait mon origine. Une femme avait accepté et on avait préparé les papiers. On était prêt à signer le bail quand elle m’a demandé d’où je venais. Je lui ai répondu que j’étais syrien, elle a repris les papiers et s’est excusée en disant que ce ne serait pas possible.

Mais chercher un appartement n’est pas souffrir. Depuis que je suis en Belgique, je ne souffre plus. Je suis seulement un peu déçu. Les Belges sont accueillants mais leur hospitalité a des limites. Ils vont t’aider mais ne t’inviteront pas chez eux. Ce n’est pas que ça manque, c’est juste que les Syriens ont un sens de l'accueil très poussé. Ils vous apporteront tout le confort possible, même si vous êtes un étranger.

Il y a une peur des Syriens en général. Je pense que les médias y contribuent. On entend dire que nous sommes des gens dangereux et sanguinaires, entre autres choses négatives. Les gens ne le savent pas mais la Syrie était l’une des places les plus sûres au monde. Pas parce qu’il y avait les services de sécurité mais parce que le peuple syrien s’est toujours aidé et protégé lui-même. C’est nous qui créions cette sécurité. Une fois, un homme a embouti une femme en voiture à Homs. En moins de 10 secondes tout le monde a couru et l’a rattrapé.

Tu es syrien pas seulement parce que tu viens de Syrie, mais parce que tu viens du Proche-Orient en général. Tes origines sont là, il y a quelque chose qui te différencie du reste du monde. Une grande civilisation s'y est développée, et elle continuait à couler dans nos veines. Mais une guerre a éclaté et a tout détruit en cinq ans. La nouvelle génération a surtout connu la guerre. Beaucoup ont été enrôlés dans l’armée peu importe leur conviction religieuse. Ils sont habitués aux meurtres et aux massacres.

Je me rappelle d’une scène, quand le tourisme fonctionnait vraiment bien en Syrie. j’attendais mon bus près d’un garage et deux anglais, un homme et une femme, ont demandé où était la citadelle de Salah el din. La femme était à deux doigts de pleurer parce que 5 personnes du garage leur ont proposé de monter dans leur voiture pour les y emmener. Les anglais pensaient qu’ils allaient se faire kidnapper. Quand je leur ai demandé ce qu’il se passait, parce que par nature en tant que syrien je voulais les aider, ils ont vu que je parlais anglais et ça les a rassuré. Ils m’ont dit qu’ils voulaient rejoindre la citadelle, et beaucoup de gens se sont réunis. Je leur ai dit que les hommes voulaient les emmener à la citadelle, l’un d’eux a même dessiné un carte 20 fois pour qu’ils puissent y aller.

Les gens veulent vraiment aider …

Ce que j’essaye de dire, c’est que c’est dans notre nature. On ne peut pas avoir faim, parce que les gens vous donneront toujours à manger, quand quelqu’un demande quelque chose on lui en donne un demi kilo. Ça je ne le retrouve pas en Belgique. Bien sûr, je généralise, le propriétaire de mon logement a été très accueillant par exemple.


Qu’espérais-tu quand tu es venu étudier ici ?

Trouver un endroit où je pourrais apporter mon aide, que ce soit aux réfugiés ici, en Turquie ou en Grèce. J’ai fini mon master et je veux maintenant jouer un rôle humanitaire, en contribuant à l’envoi d’aides matérielles. Par exemple, autrefois les traitements contre le cancer parvenaient en Syrie, le régime les achetaient et les malades pouvaient en bénéficier gratuitement. Maintenant, à cause de toutes les sanctions, 60 ou 70% de ces gens en sont privés. Un citoyen qui n’a déjà rien à manger doit vendre tout ce qu’il a pour pouvoir s’acheter des médicaments illégalement en provenance du Liban. Mais qu’est-ce qu’il lui reste à vendre quand il n’a plus rien? Sa maison ?

J’ai aidé des réfugiés ici, de ma propre initiative, parce que je voulais faire quelque chose. Les réfugiés sont dépourvus face aux choses les plus simples et il y a le risque qu’ils se réfugient dans des groupes radicaux. J’ai vu ça.

Je suis allé dans des associations bruxelloises. Elles apportent de l’aide mais il y a des lacunes dans la communication. Quand les réfugiés ne parlent ni anglais ni français, comment on communique ? Beaucoup prennent le bus sans ticket et se sentent humiliés lorsqu’ils se font contrôler parce qu’ils n’ont pas 2 ou 3 €. Pourtant, un réfugié en Belgique peut prendre un abonnement de bus à 5€ l’année, mais beaucoup ne le savent pas. Pour un Syrien, le simple fait qu’un contrôleur lui demande pourquoi il n’a pas payé est offensant. Il y a des solutions simples pour ce genre de problèmes, mais personne n’en parle aux réfugiés.


Qu'est-ce qui complique l'intégration des réfugiés syriens ?

 

Nous sommes des gens très fiers, nous sommes très travailleurs et demander de l’aide nous blesse.

Mon père m’a dit de travailler n’importe où, même 24h/24 dans un restaurant, du moment que je ne vais pas dans un centre pour demandeurs d'asile. Ne prends pas ces 800€ et va travailler 10 heures par jour pour les gagner.

Au début, on ne peut pas trouver de travail parce qu’il faut obligatoirement parler le français. Au cours de ces six mois où le réfugié doit trouver quelque chose, il risque de se perdre. C’est une période dangereuse parce que les groupes radicaux sont très accueillants et ils sont prêts à tout pour toi, j’y ai personnellement été confronté, on m’a dit qu’on m’apporterait de l’aide au sein de ces groupes. Je ne voulais pas de ça, et honnêtement j’étais optimiste avant mes 44 visites d'appartement. Enfin, ce qui compte c’est que j’ai quand même fini par trouver. 

En tant que citoyen belge, vous ne pouvez pas comprendre ma peine, et un Syrien installé ici depuis 3 ans ne peut pas connaitre la peine d’un Syrien qui vient d’arriver.


Peux-tu nous décrire une journée comme les autres ici à Bruxelles ?

Jusqu'à l'obtention récente de mon master, j’allais au cours. Je rentrais à la maison et j'étudiais. Je discute tous les jours avec mes parents via Skype, je promène mon chien (je me suis acheté un chien ici), je sors souvent avec des amis. Aucun d’eux n’est belge, je les ai rencontrés à mon université qui est internationale.


Reçois-tu une allocation en tant que réfugié ?

Je vis avec mon propre argent. Tout ce que nous avons économisé avec mes parents a été utilisé pour que je vienne ici. Je suis étudiant et ne reçois pas d'allocations du CPAS. Je n’ai pas le statut de réfugié.

Je n’aime pas parler d’argent.


Qu'est-ce qui était mieux en Syrie ?

Tu sais, je suis Syrien, alors quand on parle de nourriture, tout est négatif ! Mais c’est vrai que les frites et les bières sont bonnes, meilleures que chez nous.

Avant la guerre, les grandes villes ne dormaient jamais. Un commerce qui fermait à 22 ou 23h était un établissement qui fermait tôt. Quand un vieux monsieur est fatigué, il ferme. Après le travail, tout le monde se promenait en rue. Ici, c’est plus organisé. Les gens travaillent puis rentrent tout de suite chez eux pour se reposer. Vendredi et samedi, ils sortent puis ils vont dans un parc le dimanche. Si on avait de tels parcs en Syrie, ils ne seraient jamais vides.



Qu'est-ce qui est mieux en Belgique ?

Il y a l'efficacité. Mais les gens ne se perdent pas dans leur travail comme je m’y attendais. C'est un stéréotype qu'on a vis-à-vis des pays du nord. Ils travaillent mais ils sont détendus.

C’est sympa parce qu’on n’a pas l’impression de provenir d’une planète différente. En dépit du fait que les médias nous décrivent comme des méchants, les Belges nous acceptent. À part pour l’histoire des visites des maisons, je les trouve très ouverts, même quand certains disent qu’il faut se méfier de nous. Je respecte beaucoup ça chez eux.

L’électricité aussi. C’est très important ! (rires). J’apprécie aussi les transports et l'accès facile aux soins et aux médicaments.

J’aime aussi les festivals!  Je vais à ceux qui se tiennent près d’ici, surtout à Flagey (NDLR: un quartier animé à Bruxelles). Dès que j’entends de la musique, je sors. J’avais l’habitude de me rendre dans des événements similaires en Syrie.

Que dirais-tu aux Belges qui estiment qu'il faut d’abord aider les pauvres de son propre pays avant d’aider les autres ?

Avant l'éclatement de la guerre, les Syriens ont été très accueillants avec les Irakiens, les Libanais, les Palestiniens qui fuyaient la guerre dans leur pays. Nous avions 1 à 1,5 millions d’Irakiens, et même si ça a entraîné une hausse des prix, personne ne les a rejetés.

On a été capables de supporter ça, alors qu’on n’a jamais revendiqué cette identité européenne qui est censée aider le monde, qui est basée sur les droits de l’homme. Je pense que ceux qui vivent dans l’Union Européenne ou dans l’Occident, peuvent bien supporter quelques réfugiés.

Il y a entre 1 et 1,5 million de réfugiés syriens en Europe. Le nombre de réfugiés irakiens était compris entre 1 et 2 millions seulement en Syrie. Nous avons aussi beaucoup de Libanais et de Palestiniens. Un Palestinien en Syrie accède aux mêmes droits que moi, ce dont je souffre il en souffre aussi, ce dont j’ai peur il en a peur aussi. Il n’y a pas de différence entre nous. Et nous avons agi de cette manière en tant que peuple.

Ceux qui sont en Belgique trouvent qu’il est difficile d’apporter de l’aide aux réfugiés syriens. Mais dans ce cas, toutes les valeurs européennes que tu prônes sont des mensonges. Si tu n'acceptes pas ces valeurs, alors d‘accord. C'est le cas aux Etats-Unis et on ne s’attend à rien parce qu’ils ne revendiquent pas cette identité. Mais l’Europe se distingue parce qu’elle diffuse une culture qui comprend et donne, avec une identité et des valeurs basées sur les droits humains. L’Europe ne peut pas aider beaucoup pour des raisons sécuritaires, et ne peut rien donner au régime, mais elle peut offrir son aide aux victimes.

Si les Européens ne veulent pas aider les Syriens, c’est normal et c’est leur droit, on ne peut pas les forcer. Mais on leur demandera alors de ranger la notion des droits de l’homme. Sinon, pour moi, vous devenez un énième pays qui viole les droits de l’homme.

Il faut offrir davantage d’aide à ceux qui sont en Syrie et arrêter de dire qu'on veut le faire, qu'on envoie de l’argent et qu’il n’arrive pas. Quand l’Europe dit qu’elle envoie 4 ou 5 milliards d’euros, le peuple ne voit pas la différence. Je ne sais pas si je dois dire ça, mais un pays comme la Russie offre plus d’aide financière que la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne réunis. Peu importe qu’ils soient avec ou contre le régime, mettons la politique de côté. Chaque mois ils envoient des aides. Pourquoi l’Europe ne fait-elle pas la même chose ? Il n’y a pas besoin de nous envoyer forcément de l’argent, vous pouvez envoyer de l’huile ou du riz, ce genre de chose ne bénéficiera pas au régime.

Quand l’Europe veut aider, elle envoie du beurre de cacahuètes à des gens qui ne connaissent pas et n’ont jamais goûté ça. C’est une preuve qu’ils sont très loin de la réalité.

Si vous ne voulez pas qu’on vienne, aidez-nous à rester dans notre pays.

Vous ne devez pas reconstruire tout le pays, mais aidez-nous au moins à reconstruire des maisons.

Personne n’a encore jamais proposé ça. Et pour moi, en tant que Syrien, ce serait 1000 fois mieux que de vivre dans la tente d'un camp de réfugiés en Turquie ou au Liban.

Des choses basiques suffisent. Je me souviens en 2008, on avait envoyé de la nourriture à Gaza et les gens étaient très contents, alors que pour nous ce n’était rien. Pourquoi les autres n’envoyaient rien?

Certains envoient, sans même se préoccuper de savoir si ça va arriver ou non. Ils envoient pour se donner bonne conscience, comme quand ils ont envoyé des jouets aux enfants syriens. C’est sympa, mais envoyez-leur d’abord du lait et du pain, et s’il vous reste de l’argent alors envoyez des jouets. Ils prennent des photos pour montrer qu’ils ont envoyé des jouets, mais un enfant syrien serait content même avec le fond d’un paquet de chips.


À quoi est-ce que tu penses le plus ?

 

 

Comptes-tu rentrer en Syrie si la guerre s'achève ?


Qu’espères-tu accomplir en Belgique ?

Mon but dans la vie est d’aider mon pays, de lui offrir quelque chose. En Belgique, je voulais obtenir un master, et maintenant que c’est chose faite, un doctorat. Je voudrais aussi travailler dans un endroit où je pourrais venir en aide à la Syrie ou aux Syriens ici. C’est bien de pouvoir garder notre culture syrienne ici. L’identité vient avec le travail, quand le temps passe sans travailler, ça devient une maladie. Les gens commencent à s’habituer aux aides qu’ils reçoivent, je connais des personnes qui ne pensent pas à travailler car ils reçoivent de l’argent. Une de ces personnes voulait travailler lorsqu’il est arrivé, les six premiers mois en tout cas. Mais quand il a reçu les aides trois mois plus tard, il n’avait plus besoin de travailler. Si on veut préserver notre culture et notre civilisation, alors on devrait travailler.

Je ne me vois pas comme quelqu’un d’unique, je pense juste que je suis passé au travers de ce piège liés aux aides et qui est de tout obtenir facilement. Le fait que je n’ai pas reçu ces aides tient en partie au fait que je suis très attaché à mon identité et à ma vision de mon pays.

J’ai peur que la génération suivante tombe dans l’extrémisme, le sang. Si les Syriens veulent préserver leur identité, ça passera par le travail, et non par l’attente des aides financières. Je suis pessimiste parce que rien n’est fait pour la question de l'emploi, même si les Syriens travaillent de façon symbolique, juste pour être indépendants. Juste pour être capable de vivre sans dépendre de personne.

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