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Sohel, refugié syrien à Bruxelles depuis 3 ans: "Les gens sont plus fermés en Belgique qu'en Syrie"

SOHEL| 28 ANS | BRUXELLES | ARRIVÉ LE 20 SEPTEMBRE 2014

Comme une majorité de réfugiés syriens, Sohel a traversé la mer entre la Turquie et la Grèce avant de remonter vers le nord. Son voyage vers la Belgique a duré un mois. Auparavant, il travaillait comme ambulancier au Croissant rouge à Homs, une des grandes villes de Syrie meurtrie par la guerre. Chez nous, il a appris le néerlandais et s'attelle désormais au français. Il rêve de reprendre son job d'ambulancier.



Pourquoi as-tu quitté la Syrie ?

Je travaillais comme ambulancier au Croissant rouge depuis 4 ans, j'avais atteint les 25 ans et je ne pouvais plus reporter mon service militaire. Mais je ne voulais pas rejoindre l’armée.

[Plus tard dans l'interview, Sohel nous a raconté une histoire qui témoigne de la violence de la guerre. Par cohérence, nous avons cependant décidé de placer cette histoire dans ce chapitre.]

On passait la nuit avec des amis chez mon cousin et il m’a demandé si je pouvais le remplacer à son poste d’ambulancier. Le lendemain, on a appris qu'un missile venait de tomber et je suis intervenu. Les collègues qui m'accompagnaient étaient des débutants. Il y avait une voiture et un homme qui était en train de brûler et il y avait une école à coté avec 2 blessés. Je leur ai dit de ne pas descendre de l’ambulance.

Quand je suis sorti du véhicule, entre 50 et 80 individus sont apparus alors qu’il n’y avait personne avant. Puis, tout d’un coup j’ai entendu des sifflements et je suis tombé. On venait de tirer sur tous ces gens. J'ai reçu une balle dans mon épaule droite et quatre autre dans les pieds. Les personnes blessées rampaient vers nous. Il y avait environ 80 blessés à l’hôpital, le seul de la province.

Quand mes parents ont appris ça, ils étaient paniqués, ils sont venus me voir à l’hôpital alors que je m’occupais d’un blessé. Ils voulaient me tuer car je travaillais alors que j'étais moi-même blessé.

Il y a eu des tués. S’il n'y avait pas eu tous ces gens devant moi, j’aurais aussi été abattu.

J’ai été aussi arrêté plusieurs fois. Quand on va dans les zones contrôlée par le régime, on nous arrête pour nous dire qu’on aide les groupes armés et qu’on est avec eux… Et quand on va dans les endroits contrôlés par ces groupes armés, on nous dit qu’on aide le régime. Je ne suis d’aucun coté, je suis du côté du peuple. Les deux parties sont armées, et ce sont les civils qui sont dans la m...


Comment es-tu arrivé en Belgique ?

Comme tous les Syriens évidemment. Je suis parti de Homs à Beyrouth, de Beyrouth à Istanbul, de Istanbul à Izmir; puis de là je suis allé sur l’ile Grecque de Kos, suivie par Athènes, Milan, Nice, Paris et enfin Bruxelles.

J’ai traversé la mer Méditerranée dans une embarcation prévue pour six personnes mais dans laquelle nous étions 20.

On a eu de la chance. Mon trajet était facile, le temps était bon et il n’y avait pas beaucoup de gens. Mes cousins ont eu un chemin plus difficile, ils ont eu un orage… Mon voyage était plus "touristique" disons. Heureusement, ça a été court, le voyage a duré un mois.


Te souviens-tu de ton arrivée ?

C'était en train à Bruxelles en provenance de Paris, j’étais sale bien sûr (rires). Mon cousin et un ami, arrivés avant moi, m’attendaient tous les deux à la gare. J’étais impressionné, j’étais finalement arrivé en Europe. Ils m’ont emmené prendre une douche puis nous sommes sortis pour fêter mon arrivée. Après ça, j’ai dormi pendant quatre ou cinq jours.



Qu’espérais-tu trouver en Belgique ?

Je n’avais jamais quitté la Syrie et je m’étais toujours fait une certaine idée de l’Europe. Lorsque je suis venu je m’attendais à voir des grattes-ciels et des rues neuves et propres. Au début, je suis resté avec mes amis à Anderlecht, dans un des pires quartiers, même pire que des quartiers dans nos pays. Donc je me suis demandé où était la Belgique, où était l’Europe ? J’ai vu des magasins qui portaient le nom de séries syriennes connues, comme “bab al harra” or “abu Antar” et je me suis demandé où j’étais, j’étais surpris !

Je voulais reprendre mon job d’ambulancier à la Croix-Rouge. C’est la seule chose que je pouvais faire car je n’ai pas fini mes études en Syrie. Mais c’est très compliqué à cause de la langue.

J’ai commencé avec un cours d’intégration, quatre mois après mon arrivée. Ça m’a pris du temps pour le faire, puis j’ai commencé à suivre des cours de langues, d’abord en néerlandais avec lequel j’ai atteint le niveau 3 sur 5. Vu que je vis à Bruxelles j’ai commencé à apprendre le français, mais c’est très dur.


Comment est ton néerlandais maintenant ?

À Bruxelles il n’y a pas beaucoup de monde qui parlent le néerlandais. Je continue de le parler un peu, quand quelqu’un me parle je me débrouille. Je le comprends très bien, mais c’est plus compliqué de m’exprimer. Je communique principalement en anglais, un petit peu en français, et puis… avec les gestes.


Pourquoi la Belgique ?

L’idée était d’aller au Danemark mais j’avais un ami qui était venu ici avant moi. Il m’a dit qu’il n’y avait pas beaucoup de réfugiés et que ce serait plus simple pour les papiers. Alors mes amis et moi, on est venus ici et on y est toujours aujourd’hui.

Mon frère est arrivé il y a un an, il est parti pour la même raison que moi, mais il vit à Anvers.


Conserves-tu des contacts en Syrie ?

Mes parents habitent toujours à Homs et je leur parle tous les jours. Tout se passe bien pour l’instant. Mon père est imprimeur et ma mère travaille au Croissant rouge aussi, dans le soutien psychologique.



Que fais-tu actuellement ?

Je cherche un travail, mais c’est très compliqué. Au Proche orient, quand on cherche un travail c’est facile parce qu’on connait des gens, on a des contacts. Mais ici, je ne sais toujours pas comment m’adapter à la situation avec les emails, les correspondances et toutes ces choses. C’est très compliqué, ça peut paraître simple pour certains mais pour moi c’est très dur et compliqué, je cherche encore. Mon amie Ola m’a aidé à trouver l’appartement dans lequel je vis actuellement.


Comment se passe ta recherche d'emploi?

J’ai fait du bénévolat pendant deux mois à la Croix-Rouge lorsqu’une vague de réfugiés est arrivée en 2015. Le centre se trouvait à la Gare du Nord.

J'ai aussi participé à la création du Syriana, un club de football pour les réfugiés. Il existe toujours mais je l’ai quitté. Quand je suis à Bruxelles, je reste chez moi. J’adore suivre le sport: je reviens à la maison et je regarde des matchs de foot, des championnats italien, français, espagnol… Quand je suis à Anvers avec des amis, on se balade, et comme tous les arabes, on fume la shisha, avant de faire une sieste. Ne publiez pas, il ne faut pas que mon père lise ça (rires).



Qu'est-ce qui était mieux en Syrie ?

S’intégrer avec les Belges est compliqué, ils sont très fermés, beaucoup plus que nos communautés. Quand je jouais dans un club de volley-ball, ils me faisaient sentir que j’étais exclu.


Ressens-tu de la discrimination?

Oui beaucoup, ça se voit sur mon visage que je ne suis pas d’ici.

Après m’être présenté, beaucoup pensent que je suis espagnol. Dans Bruxelles, quand je dis que je parle anglais, ils savent directement que je ne suis pas d’ici et ils veulent rapidement mettre un terme à la conversation. Du côté flamand c’est plus facile, les gens parlent plus anglais. Ils n’ont pas autant d’attachement à leur langue qu’à Bruxelles. Trouver un travail ou une maison c’est ce qui est le plus dur ici. Et le fait que ça soit une communauté fermée complique les choses. Dans nos pays, quand tu arrives dans une rue, tu connais la rue entière. Ici dans le voisinage, je ne connais que mon propriétaire. Quand tu arrives ici d’une société comme la mienne, et particulièrement quand tu es quelqu’un de sociable, c’est très difficile. 

Et les différences positives?

Il y a deux langues et j’adore vraiment ça. J’aime le fait que le pays et ses citoyens parlent français, néerlandais, anglais, espagnol, etc. J’aimerais être comme eux sur ce point-là, et j’essaie mais c’est très dur.

J’aime l’organisation ici, mais pas dans Bruxelles plutôt en Flandre. Je connais les deux régions car je rends souvent visite à mes amis au nord. C’est très propre là-bas et les procédures administratives sont plus simples. Si je vais à l’hôpital ici, le premier rendez-vous possible sera très loin alors qu’au nord du pays, ce serait beaucoup plus proche.


As-tu des papiers officiels ici?

Je les ai obtenus en un mois, quand je suis arrivé il y a deux ans, il n’y avait pas beaucoup de réfugiés à cette époque donc ça a été vite. Je les ai pour cinq ans.


Avec combien vis-tu par mois ?

Je reçois 860€ par mois du CPAS. Mon loyer est de 440€ donc je vis avec presque 400 euros.


Que dirais-tu aux Belges qui disent qu’il faut d’abord aider les pauvres de leur pays avant d’aider les réfugiés ?

Honnêtement c’est leur droit. Pour moi, quelqu’un de mon pays est plus important qu’un étranger. Mais il n’y a pas besoin d’être méchant avec un réfugié qui vient d’arriver, à moins qu’il le mérite.

Penses-tu qu’il y ait des solutions pour te sentir mieux intégré ?

Si tu travailles ou étudies à l’université, l’intégration est beaucoup plus facile. Sauf si tu joues dans un club, et que tu es très bon, là les gens viendront vers toi.


As-tu déjà été confronté à une situation où tu t’es senti directement discriminé ?

Quand je suis arrivé à la Croix-Rouge j’étais très enthousiaste, pourquoi ne m’embaucheraient-ils pas pensais-je ? J’ai un très bon CV et une bonne expérience. Au début ils m’ont accueilli, mais quand ils ont vu mon CV, ils sont devenus pâles et n’avaient qu’une envie, m’éviter. J’ai essayé avec plusieurs personnes différentes et c’était toujours la même réaction, mes amis aussi ont vécu la même chose.


Es-tu toujours en contact avec ta famille, tes amis ?

Oui constamment par Skype, c’est comme si je vivais encore en Syrie.


A quoi penses-tu le plus ?

Qu’espères-tu accomplir en Belgique en général ?

Faire quelque chose de spécial et aider beaucoup de gens. J’essaie de mettre en place un projet avec l’aide de la Croix-Rouge mais je n’ai toujours pas postulé pour la demande. Je suis encore en train d’étudier ça. Mais faire quelque chose en rapport avec ce domaine, parce que c’est le seul dans lequel je suis bon.


Comptes-tu rentrer en Syrie si la guerre se termine?

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