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Un père et son fils arrêtés à Ixelles car ils projetaient de rejoindre la Syrie: est-ce légal?

Depuis les attentats de Charlie Hebdo, en janvier dernier, les polices de toute l'Europe s'activent pour lutter contre le terrorisme. Récemment, à Ixelles (région bruxelloise), un père et son fils ont été arrêtés parce qu'ils projetaient de se rendre en Syrie. Nous avons tenté de comprendre la base légale de cette opération, avec l'avocat Sven Mary, spécialiste en la matière.

Ce n'est pas une première, selon le parquet fédéral, mais c'est un fait marquant: deux personnes, un père et son fils, ont été placé en détention car ils s'apprêtaient à rejoindre la Syrie. L'information nous était parvenue à la fin du mois de février, de manière anonyme.

"Un père de famille et son fils de 16 ans ont été privés de liberté car ils se prépareraient à rejoindre la Syrie. Ils habitent (...) à Ixelles (région bruxelloise). La police a pris toute la famille mercredi (25/2) pour l'enquête. La maman, son fils de dix ans et sa fille de six ans ont été libérés", nous a confié une personne via notre page Alertez-nous.

Si la lutte contre le terrorisme n'est pas une matière dont la justice aime parler dans la presse, nous sommes néanmoins parvenus à vérifier ces informations. "Il y a eu deux arrestations: le père est détenu, le fils a été placé en IPPJ fermée", nous a expliqué Jean-Pascal Thoreau, magistrat et porte-parole du parquet fédéral.

"Ce n’est pas la première fois qu’on arrête des gens sur le point de partir", nous a-t-il ensuite confirmé, sans vouloir entrer dans les détails.


Légalement, comment ça marche ?

Mais comment fait-on légalement, au juste, pour arrêter des gens qui ne se sont pas encore rendus en Syrie ? Et donc qui n'ont pas encore concrètement commis de crime. La question est très délicate. Elle est l'un des volets de la lutte contre le terrorisme que l'Union européenne entend uniformiser, mais les députés peinent à s'entendre.

Au niveau national, cependant, les choses ont déjà bougé. En ce qui concerne les départs (et non les retours) de Syrie, il y a eu une "première" en France en février dernier. Six Français, dont le départ apparaissait imminent, ont été privés de leur passeport. Cette interdiction administrative de sortie de territoire, mise en application pour la première fois, est inscrite dans la loi antiterroriste votée en novembre.

Au contraire de la France, les actes préparatoires à ce voyage ne sont pas punissables en tant que tels, en Belgique. Mais le droit pénal permet toujours de punir la tentative de commettre une infraction, avait expliqué Koen Geens, Ministre fédéral de la justice, dans le cadre d'une explication sur les projets de loi antiterroristes.


"Risque de dérive arbitraire"

La matière est cependant sensible, et sujette à interprétation. Alors que nous lui demandions quelle était la base légale de ces arrestations, l'avocat Sven Mary nous a répondu: "C'est une excellente question".

"C'est n'est pas vraiment légal", a poursuivi celui qui a déjà critiqué plusieurs fois dans les médias le parquet fédéral qui actuellement "se place au-dessus des lois, comme si tout était permis dans la lutte contre le terrorisme" (interview sur VRT le 30 janvier dernier).

Sven Mary est cependant convaincu que derrière ce dossier qu'il ne connait pas, "il doit y avoir des preuves que les personnes arrêtées s'apprêtaient à rejoindre un groupement terroriste, ou étaient en contact avec des personnes reliées au terrorisme". "Dès lors", nous explique-t-il, "on peut éventuellement être placé sous mandat d'arrêt".

Mais cependant, Me Mary se demande si "le simple fait de partir en Syrie, et donc de prendre un billet d'avion pour Istanbul, puis encore un autre vers la frontière (c'est l'itinéraire standard, NDLR)", peut être punissable. Il craint "une dérive arbitraire de la justice" car "il n'y a pas d'embargo" pour ce pays: "si vous et moi tentons d'y aller, on ne se fera pas arrêter".


"On n'est plus très Charlie"

L'avocat nous a ensuite parlé d'un de ses clients qui se retrouve dans une situation toute aussi délicate. Il s'agit d'un homme de 34 ans "parti en Syrie en février 2014 pour tenter de raisonner son frère jumeau, qui a combattu aux côtés de l'Etat islamique et s'en est ouvertement vanté". La famille l'a encouragé à s'y rendre. "Il y est resté 20 jours, puis est revenu", sans avoir réussi à convaincre son frère.

En janvier 2015, il a été placé sous mandat d'arrêt, "comme par hasard", après les dramatiques évènements parisiens. "On n'est plus très Charlie", a commenté l'avocat.

Car comme il nous l'a rappelé, "il n'y a pas de nouvelle loi qui permet d'arrêter des gens qui projettent de partir en Syrie, il y a tout au plus un projet pour les personnes qui reviennent de Syrie".

Dans l'urgence, donc, "la justice agit par anticipation", comme ce fut le cas pour les arrestations de Verviers, "où en soi il ne s'est rien passé".

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