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Le nombre d'étudiants en kiné a explosé: "800 jeunes diplômés sortent chaque année, ce n'est plus possible"

Le mois dernier, Het Laatste Nieuws expliquait une croissance constante des étudiants dans le secteur de la kinésithérapie. Seulement, sans cadastre de la profession, on ignore toujours si cette masse d’étudiants pourra trouver éternellement du travail sur le marché de l'emploi.

En février, le journal Het Laatste Nieuws révélait qu'en Flandre le nombre d’étudiants en kiné avait presque quadruplé en six ans, passant de 1462 à 5612 étudiants. Même tendance en Wallonie et à Bruxelles où, si les chiffres sont plus ou moins stables depuis 2010, le nombre d’inscriptions annuelles a connu une croissance impressionnante entre 2004 et 2013, augmentant de près de 1000 étudiants. À l’UCL, la faculté des sciences de la motricité compte actuellement 1480 étudiants, dont un millier en kinésithérapie, deux fois plus qu'il y a dix ans, précise son doyen, Thierry Zintz. Même constat à l’IESCA, haute école en soins infirmiers dans la région de Charleroi, où parmi les 1400 étudiants actuels, 380 sont en kinés dont près de 160 en première année. Frédéric est l'un d'entre eux. Il a contacté notre rédaction via la page Alertez-nous parce que lui et ses semblables organisent aujourd'hui la 8e édition de la Journée Santé. Pour l'occasion, près de 19 stands aborderont différentes thématiques de la santé (addiction, bien-être, handicap, etc.) dans l'enceinte de l'école.


Pourquoi un tel engouement ?

Âgé de 28 ans et après huit ans de vie professionnelle, Frédéric a donc commencé en septembre, comme tant d'autres, des études de kinésithérapie. "Ce qui me plaisait dans le métier, c'est le contact humain, découvrir le corps humain, et comment on peut aider les autres" dit-il.

La motivation de Frédéric est partagée par Vera. "Avant j’avais fait des études de médecine, et puis je suis passée en kiné parce que je préférais, c’est plus dans l’humain, l'interaction avec autrui", confie cette jeune étudiante en deuxième année de kinésithérapie dans une haute école de Bruxelles.

Le doyen Thierry Zintz constate bien que la raison première de cet engouement est basée sur cet intérêt pour les métiers à connotation sociale et d’aides à autrui. "Dans ces métiers, on retrouve naturellement les métiers de la santé. Et parmi ceux-ci, la médecine et la kinésithérapie se taillent la part du gâteau" explique-t-il au micro de notre journalise Bernard Lobet, pour Bel RTL.

À côté de cet attrait pour des études liées à l'humain, Axxon, l'association représentative des kinésithérapeutes en Belgique pointe du doigt une autre raison: l'offre particulièrement vaste en termes d'enseignement. "On a quand même, en francophonie, 11 institutions qui donnent des formations en kinésithérapie", dit Fabienne Van Dooren, la secrétaire générale de l'association.


Un étudiant sur deux ne franchit pas la première année

Si de plus en plus de jeunes se lancent dans les études de kinésithérapie, plus de la moitié d’entre eux n’arrivera pas à la seconde année. "Il y a un taux d’échec en première année qui est de l’ordre de 60% quand on compte les abandons en cours d’année et ceux qui ne réussissent pas en fin d’année", expose Thierry Zintz. "Ils ne mesurent pas toujours la portée de ce que sont les exigences de ces études", observe-t-il. "Beaucoup de gens pensent, en entrant en kiné, que c’est beaucoup plus facile et moins intense que la médecine mais ça demande quand même énormément de travail personnel", confirme Vera. Pascal Flament, Maitre-Assistant à l’IESCA, fait le même constat dans son école avec un taux d’échecs assez important avec une autre explication: "La marge entre le secondaire et l’enseignement supérieur est énorme".

Malgré cet écrémage en première année, ils sont encore très nombreux en seconde, ce qui a par exemple contraint l’école de Vera à s'adapter: "Pour les stages, ils ont réussi à s’arranger. Un premier groupe qui va passer deux mois en début d’année et le deuxième groupe juste après. Et ils font ça pour les deux quadrimestres donc il n’y a pas de problème" explique-t-elle.


Y aura-t-il trop de kinés en Belgique ?

Face à ce boom du nombre d'étudiants en kiné se pose inévitablement la question: n'y en aura-t-il pas trop sur le marché du travail ? Et la question subsidiaire, inévitable elle aussi: ne faudrait-il pas placer des quotas ?

"Actuellement, nous n’avons pas de problème mais je pense que si on continue à fournir des kinés comme on continue à en produire pour le moment, je pense que tôt ou tard on va rebasculer. On va de nouveau avoir une pléthore de kinés sur le marché", prédit Pascal Flament qui fait référence aux débuts des années 2000 où il y avait tellement de professionnels sur le marché que le ministre de la santé de l’époque, Franck Vandenbroucke, avait carrément proposé une prime aux kinésithérapeutes qui rendraient leur numéro INAMI (numéro obligatoire pour pratiquer la kiné en Belgique).

Pour Axxon, il ne fait aucun doute qu'il va y avoir trop de kinés: "Ce n’est plus possible de continuer comme ça quand on pense que 800 jeunes diplômés sortent chaque année", explique Fabienne Van Dooren.


Installer des quotas ?

Pour lutter contre un éventuel surplus de kinés arrivants, il n'y a pas 36 solutions. Soit on limite l'accès aux études avec un quota à l'entrée. Soit on limite l'accès à la profession avec un quota à la sortie, via un nombre restreint d'octroi de numéros Inami. Cette dernière solution a prévalu jusqu'en 2011. Il s'agissait de faire passer un concours à la fin des quatre années d'étude pour attribuer les 293 numéros Inami disponibles en Communauté française. "C’est dégueulasse qu’un kinésithérapeute soit arrêté après et pas avant ses études", se révolte alors Yves Ralet, secrétaire général de l'Union des Kinésithérapeutes Francophones et Germanophones en Belgique (UKFGB).

Axxon privilégie une diminution des étudiants dès le début des études: "Il faut limiter le nombre d’inscriptions en kinésithérapie", demande sa secrétaire générale. Elle souhaite également rendre certains secteurs plus attractifs financièrement. Le doyen de la faculté des sciences de la motricité pense que la mise en place de quotas pourrait davantage pousser les étudiants à se diriger "vers les autres métiers de la santé", notamment les soins infirmiers.

Mais du côté du ministre de l’enseignement supérieur, Jean-Claude Marcourt, on nous a clairement fait savoir qu'il n’était pas question d'installer un quota à l’entrée des études pour les aspirants kinésithérapeutes, contrairement aux études de médecine et dentisterie.


Mais y a-t-il réellement trop de kinés ?

Le problème est qu'on est bien incapable de dire combien de personnes pratiquent effectivement ce métier dans notre pays.
Pour répondre à cette question, il faut un cadastre tenu à jour, c'est-à-dire une base de données qui renseigne sur le nombre de kinés qui ont un numéro Inami ET qui exercent effectivement leur profession.

"Un cadastre de la kinésithérapie est en cours de réalisation depuis longtemps. Et, dans cette attente, il n’y a pas de claire vision. Nous savons, par l’expérience, qu’un grand nombre de titulaires de numéro INAMI dans le monde de la kinésithérapie ne pratiquent pas leur profession", déplore Thierry Zintz. Selon l'Inami, l’Institut National d’Assurance Maladie-invalidité, le nombre de kinésithérapeutes "en droit de prester" s’élevait à 31.013 à la date du 31 décembre 2014. Mais combien d’entre eux pratiquent réellement ? "On ne sait pas ce que font les kinésithérapeutes et quelle est leur activité. C’est ça qu’il faut savoir", explique Fabienne Van Dooren.

À l’UKFGB, Yves Ralet appuie l’importance de cette mise en place pour une autre raison: "C’est important d’avoir un cadastre pour savoir dans quelle localité il y a pléthore ou pénurie de kinés. Donc, dans quelle région un kiné peut s’installer ou ne pas s’installer parce qu’il y a trop de kinésithérapeutes." Pour lui, il n’y a pas pléthore ou pénurie, il y a juste des régions qui comptent plus ou moins de kinésithérapeutes. Il est donc important de connaitre ces proportions exactes de kinés par habitants.


À quand le cadastre à jour ?

La ministre de la santé, Maggie De Block, avait déclaré, au début de sa législature, vouloir établir un cadastre pour toutes les professions relatives aux soins de santé. Actuellement, la priorité est donnée au cadastre des médecins et des dentistes, indispensable pour élaborer les nouveaux quotas d’entrée. "Le cadastre des kinésithérapeutes serait fait après celui des médecins. Ce ne serait donc pas avant fin 2016, début 2017" nous rapporte Fabienne Van Dooren.

La ministre de la santé insiste sur le besoin d’un cadastre pour que les jeunes puissent construire une carrière professionnelle. Cela va "leur permettre de faire des choix d’étude et d’emploi bien réfléchi" explique le porte-parole du cabinet De Block.


Une étudiante confiante: "Je pense qu’il y a toujours moyen de trouver de la place"

Mais, même en l’absence de cadastre, Vera, l'étudiante, ne se tracasse pas trop. "Je pense qu’il y a toujours moyen de trouver de la place. Kiné, c’est quand même quelque chose de très recherché" ajoute-t-elle, optimiste. Et le prof va dans son sens: "Pour l’instant, tous les étudiants qui sortent trouvent du boulot", assure Pascal Flament.

Le doyen de la faculté des sciences de la motricité estime, lui aussi, que le secteur reste attractif. S’appuyant sur l’étude réalisée par le Vif L’Express faisant état des filières sûres, il rappelle que la kinésithérapie offre des "débouchés variées et variables" tels que la kinésithérapie en hôpital, l’ergonomie ou les missions au sein d’ONG. Au niveau de la santé publique, il a été développé des qualifications professionnelles particulières. Six ont été reconnues: thérapie manuelle, cardiovasculaire, neurologique, pédiatrique, la kinésithérapie périnatale et respiratoire.


Kiné mais kiné du sport d'abord!

Dans son école, Frédéric estime que ses collègues sont majoritairement orientés vers la kiné du sport. Une tendance confirmée par Axxon: "La kiné du sport et la thérapie manuelle sont les deux gros secteurs qui attirent et qu’ils veulent tous faire ça à la sortie de leurs études mais au fur et à mesure des années de pratique, ils se dirigent vers un autre secteur plus généraliste." Fabienne Van Dooren expose également les secteurs qui n’attirent pas: "Même s’il n’y a pas de cadastre, on sent qu’il y a un manque dans le secteur de la gériatrie, de la psychiatrie. Ce sont les deux pauvres secteurs". La raison de ce manque d’intérêt est financière, selon la secrétaire général: "Un kinésithérapeute qui travaille en maison de repos est payé, pour une séance, 13 euros alors que celui qui travaille en cabinet gagne 22euros (...) Il faudrait essayer de rendre le secteur de la gériatrie plus attractif pour que les kinésithérapeutes aillent là et que les jeunes diplômés, quand ils sortent, ne veulent pas tous faire la kiné du sport."


S'exiler vers la France ?

Frédéric, de son côté, compte partir travailler en France, à son compte. Il n’est vraiment pas inquiet: "En France, les kinés débordent de travail. Il y a des étudiants en quatrième qui avaient, au mois de décembre, déjà des postes qui les attendaient pour le mois de septembre en France." Sera-t-il au tour des Belges de se faire non-résidents (voir encadré) pour trouver une place sur le marché de l’emploi ? Seul un cadastre nous le dira.

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