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La tribune du Monde confond-elle drague et violence, ou libère-t-elle une "autre parole"? Avis TRÈS contrastés sur le plateau de C'est pas tous les jours dimanche

Cette carte blanche a fait parler d’elle dans le monde entier: 100 femmes, dont Catherine Deneuve et les Belges Julie du Chemin, la sexologue vue dans Mariés au premier regard et Anne Morelli, historienne à l’ULB, y défendent les hommes qui font la cour de façon trop insistante et qui "n’ont eu pour seul tort que d’avoir touché un genou". Pour elles, on bride désormais trop les hommes ; ils doivent pouvoir "importuner les femmes". Elles dénoncent aussi le climat actuel et la "fièvre" à "envoyer les porcs à l’abattoir”.

Anne Morelli est l’une des cent femmes qui ont signé cette lettre. L'historienne de l'Université Libre de Bruxelles explique qu’elle a été agacée par la parole prise par des milliardaires à Hollywood "alors qu’il y a des causes de femmes beaucoup plus intéressantes". A la radio, sur La Première, l’historienne a expliqué avoir vécu en Italie, et que si personne lui avait pincé les fesses sur un trajet de métro, elle se serait dit à l’époque qu’elle était "mal nippée" ce jour-là. "C’est une constatation, ce n’est pas un reproche, ni un désir. Ça se faisait comme ça, et on rigolait souvent, le gars souriait. C’est une simple constatation qu’il peut y avoir des différences culturelles". Mais elle ne pense pas que cela fasse partie des habitudes "charmantes" ici, aujourd'hui, alors que Céline Caudron de Vie Féminine lui rappelle que cela se passe bien aujourd'hui, que "ce n’est pas une réalité d’il y a 50 ans". "Un homme qui pince les fesses, ça ne me semble pas un drame, ce qui est horrible, c’est le viol. Entre le viol et le oui, entre le non et le oui, il y a toute une gamme de consentement plus ou moins partagés qu’il ne faut pas criminalisés en considérant que ce sont tous des porcs", ajoute l’historienne.


"Le Monde a changé le titre de la chronique"

Sur le plateau également, Julie du Chemin, "architecte du désir", qu’on a pu voir dans "Mariés au premier regard". Elle est également signataire de lettre et explique pourquoi: "Depuis quelques semaines, j’ai été interpellée par la campagne Balance ton porc, surtout, dont on m’a parlé sexologiquement. J’ai appris, à ce moment-là, que cette campagne existait. J’ai été triste, heurtée, choquée. Bien sûr, je le suis depuis toujours parce que je reçois des patients en consultation, je suis moi-même exposée aux violences et aux souffrances sexologiques, donc je suis touchée depuis toujours. Là, j’ai été touchée par le fait qu’on traite des hommes de porcs et qu’on les envoie à l’abattoir. Et cette lettre qu’on m’a adressée, c’est, "des femmes libèrent une autre parole". C’est ça que j’ai signé il y a une semaine. Ensuite, le Monde a changé le titre de la chronique, le monde aime évidemment à provoquer et à susciter des polémiques, mais le point numéro 1, ce n’était pas la liberté d’importuner, c’était libérer une autre parole".


"Elles se prononcent sur des choses qu’elles ne connaissent pas"

Marie Thibaut de Maisière, éditrice et chroniqueuse, rappelle qu’elle respecte et remercie madame Morelli "pour tous les combats féministes qu’elle a menés tout au long de sa carrière", mais estime qu’elle et Julie du Chemin n’ont pas bien suivi les campagnes #MeToo et #Balancetonporc. "Je ne pense pas qu’elles soient actives sur Twitter. Elles n’ont pas vu, elles se prononcent sur des choses qu’elles ne connaissent pas, parce que ces campagnes ne dénonçaient pas des petits genoux touchés, c’était vraiment du lourd. Ca dénonçait des comportements qui, quand je les ai lus, je me suis dit, si ça m’arrivait, je serais mal".


"Personne n’a balancé la drague"

Marie Thibaut de Maisière estime que cette tribune a fait un grand amalgame entre la drague et la violence: "Je suis féministe, et je ne suis pas du tout contre la drague, et encore moins contre la galanterie, qui d’ailleurs est en voie de disparition. Personne n’a balancé la drague, personne n’a balancé la galanterie, je crois qu’il y a un gros amalgame qui a été fait, et le problème, c’est que ça se passe à un mauvais moment. La parole des femmes est en train de se libérer, on est en train de vivre un moment vraiment exceptionnel. Moi, je suis cyclistes, mais mes cousines qui sont plus jeunes, et qui prennent les transports en commun, elles disent, ‘Je me sens plus forte maintenant, avec cette campagne, je me sens plus légitime de réagir’. C’était trop tôt, mal écrit, c’est vraiment dommage. En plus le grand manque de cette tribune, c’est de parler d’éducation, les garçons ne naissent pas porcs, ils le deviennent parce qu’on leur permet de l’être".


"Il y a une différence très claire à faire entre la séduction et le harcèlement"

Alors que le débat revient à nouveau sur la séduction – Christophe Deborsu, le présentateur, demande aux invitées s’il est permis pour un homme de leur indiquer qu’elles sont jolies – Céline Caudron, coordinatrice à Vie Féminine, estime qu’il ne s'agit pas de parler de ça: "Il y a une différence très claire à faire entre la séduction et le harcèlement. La séduction, elle se fait à deux au minimum. A partir du moment où il y a une personne qui n’est pas d’accord avec ça, on rentre dans le domaine de la violence".

C’est bien de cette violence dont il faut parler, selon Céline Caudron: "Est-ce qu’on est face à des milliers de femmes qui sont prêtes à aller porter plainte quand un homme le fait comme ça, ou est-ce qu’on est face à des milliers d’hommes qui sont en train d’agresser des femmes, de les insulter, de les toucher, de les poursuivre, de les violer et de les tuer ? C’est là qu’il doit être le débat". Elle explique que le mouvement Me Too a permis de libérer la parole: "Et moi, je voudrais porter la voix des femmes qui n’ont pas la parole, notamment dans le milieu du travail, où c’est encore plus dur de dénoncer le harcèlement sexuel", ajoute-t-elle, citant une étude de la CSC sur les femmes de ménage, dont un tiers subit du harcèlement sexuel. "Elles n’osent pas parler, c’est là que doit se placer le débat, comment on fait pour sortir de là ?"


"Je n’aimerais pas être à la place des hommes maintenant"

De son côté, Emmanuelle Praet, chroniqueuse dans l’émission, n’adhère pas aux campagnes #MeToo et #Balancetonporc: "Moi, je suis très fière d’être une femme, d’être désirée, désirable, et de pouvoir désirer un homme. Je n’aimerais pas être à la place des hommes maintenant, parce que franchement, moi j’ai détesté cette campagne, déjà l’utilisation du mot porc, l’homme, il ne sait plus où se mettre. Et la femme non plus : moi, je suis très tactile, donc pour un oui ou pour un non, je vais toucher quelqu’un. Mais vous imaginez, lui aussi peut se dire, il commence à me draguer ? Même moi, la femme, je ne sais pas quelle attitude je dois avoir, je peux très bien me faire traiter de salope après, ni même le regard que l’homme peut avoir. Soyons fiers de ce qu’on est".

Si on lui avait demandé de signer la tribune parue dans Le Monde, la chroniqueuse l’aurait "fait avec plaisir". "Vous avez des porcs, effectivement, mais l’avantage de notre société et de notre démocratie, c’est que si vous tombez face à un porc, vous pouvez avoir une réponse, judiciaire si c’est possible. On m’a mis la main aux fesses des dizaines de fois, j’ai eu un type qui s’est masturbé derrière moi quand j’étais dans une convention".

"Et vous ne voudriez pas que ça s’arrête, qu’on éduque les garçons au respect des femmes?", lui demande Marie Thibaut de Maisière. "Mais ce n’est pas pour ça que tous les hommes sont des porcs, je me mets à la place des hommes qui plaît aussi aux femmes, et qui ne peut même plus avoir ce geste, qui peut-être va être déplacé pour certaines femmes, et sil elles le sentent, elles sont grandes, elles ouvrent la bouche et le disent, ce que j’ai fait", répond la chroniqueuse.


"Il y a quelques maladresses dans cette lettre"

Alain Raviart, lui n’aurait pas signé la lettre: "Déjà, parce que je ne suis qu’un homme, ça a été signé que par des femmes, et c’est très bien. Je ne l’aurais pas signée, parce que je pense qu’il y a quelques maladresses dans cette lettre. Autant, je suis d’accord avec vous, ça a ouvert le débat, parce qu’on était dans un débat à sens unique qui était absolument intolérable, et donc merci. Mais quand dans le texte, on dit, des personnes sont accusées d’agression sexuelle alors qu’elles ont eu pour seul tort que d’avoir touché un genou. Non, c’était un tort d’avoir touché le genou, parce que ce n’était pas légitime. Je trouve qu’il y a des maladresses de mots".


"Cette tribune continue à banaliser la violence"

Pour Céline Caudron, coordinatrice à Vie Féminine, ce sont plus que des maladresses, mais des mots graves. "Ce sont des phrases qui banalisent les violences, qui sont déjà très fort banalisées. Par exemple, on fait passer le message aux femmes de dire, "maintenant, il faut un peu se calmer, parce qu’on est en train de dénoncer n’importe quoi", ce n’est pas vrai : on fait aussi passer le message "tais-toi". Vous savez que les femmes qui ont été victimes d’agressions sexistes en rues, 26% seulement osent en parler à leurs proches, et 3% seulement osent porter plainte. Pourquoi ? Parce que justement, ces violences sont banalisées, donc elles se disent-elle mêmes, ce n’est pas si grave, je vais mordre sur ma chique, ou alors elles ont peur des représailles, du regard qui va avoir lieu sur elles, peur du licenciement, peur d’autres violences, parce que ce sont souvent des violences qui se font avec des proches. Cette tribune continue à banaliser la violence, alors que justement le débat qui s’ouvre, c’est de libérer cette parole pour dire que c’est une réalité qui existe".

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