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"La Vase", matière à spectacle qui éclabousse les certitudes

Sur scène, elle gicle, jaillit, éclabousse de toutes parts. Avec "La Vase", la Comédie de Clermont propose un spectacle déroutant autour de cette matière visqueuse érigée en un symbole de l'enlisement de nos sociétés.

"Chacun peut penser à l'enlisement social, aux grandes idéologies politiques qui vacillent, à la religion qui se transforme en arme de guerre, au monde du travail de plus en plus instable, aux structures familiales qui implosent...", énumère le comédien et metteur en scène Pierre Meunier.

"On est dans une période de perte d'appui, de perte de repères où les certitudes, les fondamentaux sont bousculés et vacillants", explique le fondateur de la Compagnie La Belle Meunière, qui avait déjà travaillé dans ses précédents spectacles avec la roche ("Le Tas") et le métal ("Le Chant du ressort").

Sur scène, une équipe de cinq scientifiques très propres sur eux examinent à distance le caractère "viscoélastique" de "la plus ingrate des matières" lors d'expériences incongrues. Avant que leur machinerie, devenue incontrôlable, ne transforme le décor en marécage.

Pour mieux appréhender cette matière informe pendant la création, l'équipe s'est "complètement immergée" dans de la vase de la Baie de Somme, sur le littoral de la Picardie.

"C'est une expérience très jouissive. C'est très doux et enveloppant. On ne coule pas mais on flotte, comme un bouchon de liège. Cela réveille des choses archaïques de l'ordre de la régression, de la naissance et de l'inconscient de notre origine", raconte Pierre Meunier qui enchaîne les douches hors plateau pendant le spectacle.

"Ca grouillait d'organismes vivants. Mais une fois dépassées la peur et l'angoisse, on se sent profondément vivant", dépeint à son tour la co-créatrice du spectacle Marguerite Bordat.

Le duo a aussi collaboré avec des chercheurs du programme de recherche Amaco (Atelier matière à construire) travaillant sur les matériaux déconsidérés pour l'architecture et le design, au sein des Grands Ateliers de Villefontaine (Isère).

"On s'est immergé aussi avec eux. On a fait des projections et eu des échanges nourrissants et très inspirants avec eux pour l'écriture", souligne Pierre Meunier.

- Ondines et feux follets -

Outre la science, le spectacle fait aussi appel à l'imaginaire fantasmagorique lié aux eaux dormantes et aux marécages dont les eaux troubles et croupissantes ont longtemps été jugées malsaines et porteuses de miasmes.

"On a improvisé après avoir lu beaucoup de textes historiques et philosophiques, de vieux contes populaires qui parlent de spectres, d'apparitions de feux follets, d'ondines, de sirènes enfouies. Autrefois, c'était l'objet de craintes. Beaucoup de marais ont été asséchés parce qu'on considérait qu'ils véhiculaient des maladies", rappelle la scénographe et plasticienne.

Mais la gadoue "que l'adulte a appris à mettre à distance" gicle et jaillit ici, aussi sensuelle, excitante que régénérante: le spectacle utilise près de 2 tonnes d'argile et d'eau.

"A travers cette expérience sensible et poétique, on rétablit une relation intime avec cette matière longtemps déconsidérée. C'est la matière la plus inutile en apparence, alors que c'est faux. C'est grâce aux dépôts de vase et son enfoncement progressif au fond de la Terre pendant des millions d'années que se sont créés les hydrocarbures dont on a tant besoin pour notre confort moderne", note Marguerite Bordat.

Après le spectacle, il faut plus d'une heure trente à la dizaine de personnes chargées du nettoyage pour éliminer les dernières traces de boue sur scène.

Après Clermont-Ferrand, où il est présenté jusqu'à vendredi, le spectacle sera en tournée à Genève, Paris, Strasbourg, Douai, Béthune, Mulhouse, Besançon, Lyon, Nantes, Meylan et Toulouse.

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