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"Les Trois Soeurs" par Simon Stone à l'Odéon: cherchez Tchekhov !

"Les Trois Soeurs" se prêtent décidément à bien des expérimentations: après la version en langue des signes du Russe Timofei Kouliabine, le théâtre de l'Odéon donne jusqu'au 22 décembre la création de l'Australien Simon Stone, qui propulse Tchekhov au temps de Donald Trump.

Une joyeuse bande arrive, les bras chargés de sacs d'hypermarchés, dans la grande maison de verre posée sur le plateau du théâtre de l'Odéon.

On ouvre la maison pour le week-end, les conversations vont bon train: Irina, la cadette, fête ses 21 ans: "la plupart des gens de mon âge gâchent leurs temps en prenant de l'ecstasy ou en s'envolant pour Berlin pour le week-end", lance-t-elle. J'en avais fini avec ça quand j'avais quinze ans."

Dans "Les Trois Soeurs" de Simon Stone, on ne rêve plus d'aller à Moscou, on trouve Berlin "has been" et c'est New York ou San Francisco qui font rêver.

Et après tout pourquoi pas? Tchekhov lui même tenait absolument à ce que ses pièces se déroulent au présent, et le présent, c'est Trump, la mode du vegan et Facebook.

Simon Stone a déjà réécrit de la sorte Ibsen (1828-1906) pour son "Ibsen Huis" donné au Festival d'Avignon, déjà dans une spectaculaire maison de verre. Sa "Medea" inspirée d'un fait divers américain de 1995 (une mère mettait le feu à sa maison en brûlant vifs deux de ses enfants après avoir empoisonné son mari) rendait parfaitement justice à la Médée d'Euripide, Sénèque et Corneille.

Mais on peine à retrouver Tchekhov dans le texte débité à la vitesse d'une mitraillette par les acteurs. Il faut s'accrocher pour suivre, et quand on a absorbé les allusions à la victoire de Donald Trump et les jugements acides sur la conversion des soixante-huitards au libéralisme, on se demande ce qu'il peut bien apporter à la pièce.

Pour Simon Stone, "que le public se reconnaisse, voilà l'essence de la philosophie tchekhovienne". Certains se reconnaîtront peut-être dans ces portraits de trentenaires pressés de noyer leur vacuité dans l'alcool, la drogue, les jeux vidéo, ou de "tirer un coup".

Mais quid de leurs états d'âme? Pas de temps de s'y attarder. Les trois soeurs, Irina, Macha, Olga, si attachantes dans le texte de Tchekhov, sont à peine esquissées. Certains personnages sont si peu incarnés qu'on ne comprend pas le moment venu pourquoi l'un d'eux se tire une balle dans la tête !

On ne retrouve pas cette nostalgie poignante qui étreint tous les personnages de Tchekhov, le sentiment qu'ils ont de passer à côté de la vraie vie.

Finalement, pour apprécier la pièce, peut-être vaudrait-il mieux tout simplement ... oublier Tchekhov!

La pièce sera donnée en tournée du 8 au 17 janvier au TNP Villeurbanne avant Turin, Anvers et Angers (16 et 17 février).

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