Accueil Actu

A la télévision, le livre est partout, la littérature presque nulle part

Nombre d'émissions télévisées invitent des romanciers à la sortie de leurs livres dont elles servent la promotion beaucoup plus que la littérature elle-même.

"A la télévision, le livre est partout, et la littérature quasiment nulle part", juge Eric Naulleau, qui présente "Ca balance à Paris", une émission culturelle généraliste programmée chaque samedi à 17h50 sur la chaîne payante Paris Première.

"Une émission de bricolage peut fort bien inviter un écrivain", ironise-t-il, mais "en général, l'animateur n'a pas lu son livre".

Il n'empêche, une émission de divertissement est bien plus populaire qu'une émission de littérature pure, reconnaît-il.

"Busnel aurait beau attirer 600.000 téléspectateurs en prime time, demandez à TF1 si cela est suffisant", sourit Eric Naulleau.

"La Grande Librairie" présentée par François Busnel, chaque jeudi soir sur France 5, est la seule émission du paysage audiovisuel français exclusivement dédiée aux livres à une heure de grande écoute.

En 2014, son émission a enregistré 419.000 téléspectateurs en moyenne. Le 11 décembre dernier, l'émission spéciale "Les 20 livres qui ont changé votre vie", avec parmi les invités Amélie Nothomb et Erik Orsenna, a enregistré un pic d'audience record de 927.000 personnes.

Grand défenseur de "la création littéraire encore très vivace en France", François Busnel a des mots très durs pour les émissions de divertissement qui font florès dans le PAF.

"Le pays traverse une crise de nihilisme", juge le directeur du magazine Lire, en accusant ce qu'il surnomme "les tribunaux talk-show" d'être les fossoyeurs des valeurs humanistes.

"L’artiste se retrouve devant deux ou trois snipers ou un gang de rieurs qui lui coupent la parole à peine prise, et doit tenter de se justifier d’avoir produit de la beauté qui bien sûr ne leur apparaît pas comme de la beauté, parce qu’ils ne s'intéressent qu’à son contraire la saleté", tranche-t-il.

Michel Field l’ex-professeur de philosophie qui présente "Au Field de la nuit" sur TF1, est moins sévère. Il accorde à ces talk shows la vertu d'être "de formidables vecteurs de vente" des livres.

"Je connais peu d’auteurs qui refusent d’y aller", souligne-t-il.

- "Le monde fascinant des blogs" -

Et pour cause, l'émission présentée par Laurent Ruquier "On n'est pas couché", par exemple, a rassemblé 1,7 million de téléspectateurs en moyenne en 2014. Le 10 janvier dernier, la semaine des attentats en France, elle a atteint 2,5 millions de téléspectateurs, proche de son record historique de 2,7 millions en 2010.

Michel Field, en bon philosophe, s’est résigné "à sa niche".

Il explique que si 700 romans sortent par an, la plupart ne dépassent pas 1.000 ventes. Un roman vendu à 10.000 exemplaires est un vrai succès de librairie, à 100.000 un vrai raz-de-marée.

"Une fois que l’on a compris cela, poursuit-il, on se dit qu'en touchant régulièrement 300.000 personnes en pleine nuit le lundi, dont 10% iront acheter des livres, on contribue à un succès de librairie. "

Le "survivant" Philippe Lefait, qui anime "Des Mots de Minuit" sur internet depuis son transfert en juin 2013 () parce que l'émission "coûtait trop chère" à France 2, regrette que la culture soit devenue "une catégorie de l’industrie de divertissement, une consommation de masse" et les livres "des produits culturels".

Les émissions culturelles et littéraires a fortiori, comme il a pu en animer ces 15 dernières années, sont "un luxe professionnel rare, peu valorisé en interne", confie-t-il, "le service public est un lieu où c’est encore possible, de façon résiduelle, mais possible".

De son côté, Michel Field se demande justement "si la massification de l'industrie culturelle n’a pas plutôt troublé notre perception des choses? Est-ce qu’en réalité cela ne s’est pas toujours joué à quelques milliers de personnes?".

Il estime même qu'il est peu probable de passer aujourd'hui à côté d’un chef-d’œuvre", d’autant qu’existe "le circuit parallèle fascinant et foisonnant des blogs", dit-il, "un univers meilleur que +Le Monde des Livres+".

À la une

Sélectionné pour vous