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Accueil mitigé pour un projet d'opéra à Istanbul

Dominant l'emblématique place Taksim d'Istanbul, une bâtisse abandonnée, aux vitres fracassées et à la façade tapissée d'affiches est appelée à disparaître pour laisser la place à un grand opéra digne d'une ville de 18 millions d'habitants. Mais le projet ne fait pas que des heureux.

Annoncé le 12 juin en plein ramadan par le président Recep Tayyip Erdogan lors d'un repas de rupture de jeûne avec des artistes, il a suscité des réactions plutôt positives dans le monde des arts, mais une controverse perce aussi car l'édifice qui sera démoli n'est autre que le Centre Culturel Atatürk (AKM), nommé en l'honneur du fondateur de la Turquie moderne.

Or tout ce qui touche à l'héritage du père de la République turque déchaîne les passions en Turquie et l'AKM, bien qu'abandonné depuis des années, symbolise une certaine tradition laïque et une conception occidentale de la culture associées à Atatürk, mort en 1937.

Depuis son inauguration en 1969, l'AKM, un mastodonte à la façade en verre, a connu une histoire mouvementée, voire maudite.

Ravagé par un incendie en 1970, la salle de spectacle a été reconstruite et n'a rouvert qu'en 1978. L'AKM a ensuite été le clou de la vie culturelle stambouliote pendant trois décennies, avant d'être fermé en 2008 pour rénovation.

- 'L'AKM, c'est fini' -

Mais les travaux n'ont jamais eu lieu et le bâtiment a été livré à l'usure, témoin immobile des tumultes de la scène politique turque. La place Taksim est souvent l'épicentre de leur expression populaire, comme ce fut le cas lors des protestations dites de Gezi en 2013 contre M. Erdogan, alors Premier ministre, ou les rassemblements de ses partisans en 2016 après un putsch manqué.

"L'AKM, c'est fini, nous allons l'abattre pour doter Istanbul d'un nouveau bel édifice", a dit M. Erdogan à ses hôtes. "Nous voulons qu'Istanbul ait le centre culturel et artistique qu'elle mérite".

La fermeture de l'AKM a eu un impact considérable sur la vie culturelle stambouliote, la plupart des compagnies d'opéra et des troupes de ballet se produisant depuis au Süreyya Operasi, magnifique bâtiment des années 1920 mais trop exigu pour accueillir des spectacles de grande ampleur.

"On attendait une salle de concert digne de ce nom et l'annonce faite par le président Erdogan nous réjouit", affirme Yesim Gurer Oymak, directrice du Festival de musique d'Istanbul, organisé par la Fondation d'Istanbul pour la Culture et les Arts (IKSV).

"Cela signifie que de plus en plus d'orchestres internationaux et de grosses productions vont pouvoir venir à Istanbul et que des troupes turques vont pouvoir présenter des spectacles d'un niveau plus élevé", ajoute-t-elle.

- 'Ancienne Turquie' -

Si le projet venait à se réaliser, il doperait l'attractivité de la place Taksim, en berne depuis les manifestations de 2013 et la série d'attentats qui ont frappé Istanbul l'année dernière.

L'AKM, à l'architecture parallélépipédique, symbolise pour de nombreux Turcs "l'ancienne Turquie", avant l'avènement en 2002 du parti islamo-conservateur de la Justice et du développement (AKP) de M. Erdogan. Le quotidien progouvernemental Daily Sabah l'a ainsi décrit comme "une verrue à l'architecture terne" et un "sinistre souvenir" des années 1960.

Mais pour d'autres, l'AKM est le symbole de la République moderne fondée par Atatürk -- qui était féru d'opéra -- et doit être rénové au lieu d'être démoli.

Sami Yilmaztürk, responsable de la branche stambouliote de l'Ordre des architectes turcs, considère ainsi que la démolition prévue de l'AKM "s'inscrit dans le cadre d'un projet visant à stopper la modernisation et de détruire la République".

Sur la place Taksim, à l'ombre de la coquille vide qu'est devenu le bâtiment, les avis sur le nouveau projet divergent.

"Ce bâtiment est le symbole de Taksim. Ils vont défigurer le visage de Taksim, car je ne crois pas qu'on aura mieux avec le nouveau projet", dit Hacer, âgée d'une cinquantaine d'années.

Gurer Oynak, rencontré au pied de l'édifice, imagine un possible compromis dans le débat: garder la façade et reconstruire entièrement les autres parties du bâtiment.

"L'AKM a laissé une trace importante dans l'identité de cette ville. J'aimerais voir la façade préservée, car elle fait partie de notre mémoire", dit-il.

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