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Au Beverley, les derniers jours du cinéma porno à l'ancienne

Il est presque midi. Dans une petite rue déserte à deux pas du Grand Rex, quatre hommes font le pied de grue devant la façade sobre du Beverley, en attendant l'ouverture de ce temple du porno vintage et dernier cinéma du genre à Paris.

Douze euros déposés au guichet depuis le hall décoré de vieilles affiches de films - "Mémoires d'une petite culotte", "Bananes mécaniques"... - et les clients s'engouffrent dans l'unique salle aux 90 places. Ici, pas de séances, deux films tournent en boucle sept jours sur sept, de 12h à 21h.

La programmation change toutes les semaines, alternant films des années 70-80 et "plus récents", des années 90. Ce mercredi, le bruyant projecteur datant de 1950 passe "Extases". A l'écran, moustaches, poils, décors marron et jaune moutarde, musique d'ascenseur.

Le porno moderne, de "l'abattage", le patron, Maurice, ne veut pas en entendre parler. Ses clients non plus. "Une nana sur une table avec 40 mecs. C'est nul", balaie Luc, employé au Palais de justice, qui passe "deux-trois heures" quand il ne travaille pas.

"C'est plus authentique", abonde Kim, 54 ans, un des plus jeunes habitués du lieu où les retraités sont légion. Séparé depuis peu de sa femme qui ne savait rien de ses escapades au Beverley, il aime "le grand écran" et l'anonymat: ici, "on n'est pas fliqué" comme sur les sites classés X.

Les "têtes blanches" du Beverley n'ont elles pour la plupart pas internet, comme Jean-Pierre, 75 ans et deux passions dans la vie - "le porno et les danses de salon" -, ou Jean, 90 ans, béret sur la tête et veste sur ses épaules voûtées, qui assure venir "pour causer" et faire la sieste.

Les entrées sont régulières à l'heure de pointe, 15h-17h, mais l'âge d'or du Beverley est loin. Une centaine de billets vendus les bons jours, contre deux à trois fois plus dans les années 90.

- Huiles essentielles -

"On ouvrait à 09H00, on fermait à 23H00 et on mettait les gens dehors. Aujourd'hui à 19H00 il n'y a quasiment plus personne", raconte Maurice. Ses "soirées couples", deux fois par semaine, se vident aussi. Après 34 ans d'activité, il sait que le dernier des cinémas pornos "authentiques" de la capitale - les autres salles X ont le statut de sex-shop - "vit ses derniers jours". A 74 ans, à la tête d'un business qui n'est plus rentable - "ma retraite, ce sera les murs" - il négocie avec des repreneurs potentiels.

Nostalgique, il évoque le temps où l'on trouvait "une dizaine de cinémas porno entre République et Opéra", avant "le téléphone portable, internet" qui ont "tout détruit", quand on buvait "son petit noir sur le zinc à la brasserie des Auvergnats" dans ce quartier aujourd'hui prisé des start-ups et chaînes de bars et restaurants. A l'époque, se souvient Serge, qui travaille avec Maurice depuis 25 ans, on voyait s'arrêter ici des hommes "panier de poireaux à la main, qui disaient à +bobonne+ qu'ils allaient faire le marché".

Dans un Beverley bien rempli, on joue "La nymphomane perverse" où Michel, fauché, demande à sa femme de se prostituer pour payer les réparations de sa moto. "Quelle importance, une fois n'est pas coutume", avance-t-il alors qu'elle s'offusque avant de céder, quand il lui propose la moitié des gains.

"Bonjour l'image de la femme", s'esclaffe Paul, 60 ans, de passage à Paris et qui découvre les lieux.

Dans la salle aux murs de briques que Maurice parfume d'huiles essentielles, un sol en caoutchouc remplace désormais la moquette, devenue "raide de tout le plaisir qu'elle a reçu". Un client fait la bise à un autre et s'installe. Les sièges de skaï rouge grincent, les mains se baladent parfois jusqu'au pantalon du voisin et les allers-retours aux toilettes à plusieurs sont nombreux. "C'est le problème de la prostate", sourit Maurice, peu bavard sur ce qui se joue dans la pénombre, craignant que l'on prenne son cinéma pour un repère de "vieux cochons". "C'est leur jardin secret".

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