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Basquiat et Schiele à la Fondation Vuitton: la rage électrique et viscérale

"Ils ont la rage", comme on dirait aujourd'hui et c'est l'événement de l'automne parisien: la Fondation Vuitton expose Jean-Michel Basquiat, qui incarne la révolte de jeunes artistes new-yorkais des années 80, en même temps que le Viennois Egon Schiele, emblème d'une rébellion tout aussi radicale au début du XXe siècle.

Du 3 octobre au 14 janvier, la Fondation de Bernard Arnault, patron du groupe de luxe LVMH, consacre une rétrospective d'une centaine d'oeuvres à l'artiste new-yorkais (1960-1988) qui a commencé à graffer dans la rue, travaillé étroitement un temps avec Andy Warhol avant de mourir d'une overdose: huit ans de créations intenses de 1980 à 1988.

Également présent à l'exposition, le Viennois Egon Schiele (1890-1918), peintre à la charge érotique, de l'époque de Freud et de l'éclosion de la psychanalyse, est exposé dans les salles voisines.

Schiele, dans la Vienne de 1800, et Basquiat dans New York de 1980, morts à 28 et 27 ans, deux jeunes révoltés, en rupture scolaire, se rejoignent sur plusieurs points : "Ils sont très engagés par des missions qui les dépassent, travaillent en eaux profondes, sont prolifiques et superdoués": pour Schiele, c'est "observer frontalement ce qu'est l'être humain, avec un corps, un sexe".

Pour Basquiat, c'est "faire exister la figure noire", observe Suzanne Pagé, directrice artistique de la Fondation Louis Vuitton.

La révolte à Vienne, pour Schiele, c'est contre le conformisme académique, alors qu'il est obsédé par la syphilis dont est atteint son père. La rébellion à New York pour Basquiat, c'est contre un monde culturel d'où le Noir n'est que peu représenté. Ce sont aussi les années Sida.

Il commencera avec des graffitis à la bombe aérosol, signant "SAMO" pour "the same old shit". Il parsème ses oeuvres de graffitis souvent poétiques, interrogations et provocations.

L'oeuvre de Basquiat est en rupture avec l'art minimal et conceptuel, propre et cervical. Il est plein du fureur et d'une immense tendresse.

- "La ligne existentielle" -

Dieter Buchhart, commissaire de l'exposition, définit son style comme celui de la "ligne existentielle". Une ligne acérée que l'on retrouve chez Schiele.

La rétrospective sur l'artiste américain s'ouvre sur trois têtes géantes dont celle achetée à 110,5 millions de dollars l'an dernier par le milliardaire japonais Yusaku Maezawa.

"Leurs regards vous fusillent", et les têtes montrent l'être humain "de l'intérieur et de l'extérieur", note Suzanne Pagé. De manière crue, brute, de même que Schiele peignait ses corps déformés.

A huit ans, la mère du jeune Basquiat, hospitalisé après un accident de la rue, lui avait offert un livre d'anatomie, raconte la directrice artistique: d'où ces fils et des tuyaux qui circulent à vif sur ses oeuvres.

L'exposition s'achève par une peinture à l'acrylique très dépouillée, "Riding with death" où le cavalier et ses gestes synthétisent trois chefs d'oeuvre de Léonard de Vinci, Rembrandt et Dürer.

Clous, couronne d'épines, il y a aussi dans l'inspiration de Basquiat un aspect messianique, christique.

Basquiat est au sommet du marché de l'art aujourd'hui, et aussi très populaire: "Il avait une énorme culture, compilait tout. Tous les jeunes, qui se sentent appartenir à toutes les cultures, s'y retrouvent", analyse Suzanne Pagé.

Il était d'un milieu aisé de Brooklyn et accompagnait sa mère dans les musées, mais il donne la parole à un art qui dit tout, sans fard, d'une manière crue, sincère, presque enfantine. "Basquiat avait toujours gardé un contact avec la rue et pratiquait un bricolage volontaire", rappelle-t-elle.

"Il n’a guère pris le temps de vivre, mais ses transgressions d’art n’ont pas de fin. Basquiat dit sa colère contre tous les conformismes qui écrasent la vraie vie, et contre les racismes sordides qui tuent les différences. Son agressivité face aux verrous culturels, est sidérante, effrayante et sublime", dit à l'AFP le critique d'art et conférencier Christian Noorbergen, qui collabore avec la revue Artension.

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