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En lice pour le Goncourt et le Renaudot, Yasmina Reza s'amuse à "mélanger les genres"

"Ce n'est pas un esprit très français de mélanger les genres. Moi, je mélange tout", s'amuse Yasmina Reza qui prouve une nouvelle fois, et avec brio, qu'elle se moque des conventions quand il s'agit de bousculer les codes du roman.

Sélectionné pour le Goncourt et le Renaudot, "Babylone" (Flammarion) tient tout autant du roman noir (il est question d'un crime!) que de l'analyse subtile de nos "vies minuscules", condamnées à l'oubli comme ces personnages figés sur les photos de l'Américain Robert Frank dont l'ombre traverse le roman comme un fil rouge.

"Pour moi, +Babylone+, c'est le monde des disparus, des émotions qu'on aurait pu vivre, de toute cette humanité derrière nous", explique la romancière, auteur français le plus joué dans le monde, au cours d'un entretien avec l'AFP.

Mais "Babylone" c'est aussi naturellement le synonyme de l'exil et de l'identité perdue. Attendant la police après le meurtre de sa femme, Jean-Lino se souvient que son père lui lisait toujours le même verset déchirant des psaumes: "Sur le bord des fleuves de Babylone, nous étions assis, et nous pleurions en nous souvenant de Sion".

"De par mes origines et mon histoire personnelle, il n'y a jamais eu, et je le dis sans aucune nostalgie, de chez moi. J'ai dû me le créer. Je me le suis créé avec l'écriture en réalité", soutient Yasmina Reza, née en France d'une mère d'origine hongroise et d'un père issu d'une famille russo-iranienne.

Quant à l'identité, si elle trouve "formidable qu'il puisse y avoir des identités diverses", elle ne comprend pas "qu'on soit aussi désespérément accroché à une identité qui est toujours extérieure à soi, que ce soit l'identité d'origine, religieuse, de patrie (la plus folle à mon avis)".

"Ce sont des entités décoratives, ça n'a rien à voir avec l'identité profonde de l'être", affirme l'écrivain. "Je vois bien le désastre que ça engendre".

- Etre glacé d'horreur et rire -

Tous les personnages de "Babylone", y compris le chat vieillissant qui ne comprend que l'italien, sont des exilés. Exilés de leur jeunesse et de leurs rêves.

Si l'on s'amuse des travers et des manies de ces petits-bourgeois aux vies insignifiantes c'est qu'au fond ils nous ressemblent comme deux gouttes d'eau.

"J'aime tous mes personnages", dit la romancière qui les traite avec une égale empathie. Dans un éclat de rire, elle avoue partager les mêmes marottes que la pauvre Lydie, assassinée après avoir pris la défense des poulets élevés en plein air.

"Je me trouvais au restaurant avec un ami et j'ai demandé d'où venait le poulet. L'ami m'a dit: +Mais Lydie c'est toi!+. J'ai répondu: "oui, je fais exactement comme elle".

Si le roman de Yasmina Reza ressemble parfois à un "vaudeville" où l'on rit de bon coeur on se retrouve soudain la gorge nouée, la tragédie n'étant jamais loin de la farce.

Passer ainsi du rire aux larmes "je pense que c'est venu de quelque chose de très précis dans ma vie", confie la romancière.

"Mon père aimait la musique et pour lui le chef-d'oeuvre des chefs-d'oeuvre c'est Don Giovanni de Mozart. Pas seulement la musique mais le livret de Lorenzo da Ponte. A la toute fin, quand le Commandeur arrive pour dîner, sur un air terriblement tragique, et alors que Don Giovanni l’invite à entrer, le valet Leporello chante par en dessous: +Oh , il n’a pas le temps! Excusez-le!+. On est à la fois glacé d'horreur et on rit".

"J'étais très très petite et je me disais: +c'est le génie pur+", dit Yasmina Reza.

Elle a retrouvé cette trace de génie chez Shakespeare, Tchekhov ou encore Philip Roth ou Thomas Bernhard. "Ce mélange de farce, de grotesque, de ridicule, de tragique et de drame cela touche à l'essence même de la vie telle qu'elle est", insiste l'écrivain qui avoue écrire en pensant à "ce modèle là".

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