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Eugene Richards, un demi-siècle de photojournalisme près de Paris

A 73 ans, la photo est toujours pour lui une "addiction". L'Arche du photojournalisme, près de Paris, accueille une rétrospective d'une légende de la photographie américaine, Eugene Richards, fenêtre ouverte sur un demi-siècle de travail documentaire aux marges de la société américaine.

"Les années passent très vite et une chose en a amené une autre", dit simplement l'homme à la voix basse et aux yeux clairs pour expliquer le titre de l'exposition, "La course du temps" (The Run-On of Time), qui retrace jusqu'au 10 janvier sa vaste production photographique.

A travers 14 chapitres non linéaires, elle propose quelque 170 tirages de cet ancien membre de l'agence Magnum et collaborateur du magazine Life, lauréat des plus prestigieux prix de photographie à travers le monde.

Il est l'un de ceux qui "a sans doute le plus influencé des générations de photographes", estime Jean-François Leroy, directeur artistique de cet espace d'exposition perché à plus de 100 m de hauteur dans le quartier de La Défense, et ouvert cette année.

"C'est un photographe qui n'a jamais fait de concessions, très engagé, très militant", ajoute-t-il, soulignant sa "parfaite empathie avec ses sujets". "Le monde qu'il nous montre est assez noir, mais je le trouve en même temps plein d'espoir".

- 'Un monde de difficultés' -

Né en 1944 à Dorchester (Massachusetts), Eugene Richards fait des études de littérature et de journalisme avant d'apprendre la photo auprès de Minor White, un maître de la photographie. Refusant le service militaire et surtout la guerre du Vietnam, il intègre un service civil et part dans l'Arkansas. Son premier livre paraît en 1973.

Il publiera ensuite des dizaines de reportages et 17 livres en tout, la plupart en noir et blanc, sur le combat de sa femme Dorothea contre le cancer du sein, la misère et les ravages du crack, le quotidien épuisant des urgences, les cendres du 11-Septembre, les séquelles intimes de la guerre en Irak...

On croise ainsi, entre les piliers de béton du musée, le regard vide d'une jeune toxicomane à New York, des rivières d'urine dans un asile psychiatrique mexicain, la silhouette sous la douche d'un homme mourant, mais aussi des jeux d'enfants dans les flaques de Boston.

Au cours de sa carrière, ses livres ont heurté, soulevé des vagues de critiques. La noirceur de ses photos interroge aussi. "Mon travail, dans l'ensemble, prend racine dans mes origines sociales, et j'ai des origines populaires, ce sont les questions qui m'intéressent", a-t-il répondu, interrogé à ce sujet en conférence de presse.

"Il y a tout un monde de joie, de divertissement, mais il y a, à l'inverse, un monde de difficultés et de maladie. On a tous à faire des choix, on ne peut pas tout faire. J'ai choisi mon domaine".

- 'Scruter la complexité' -

Mais la photographie est d'abord pour lui "une addiction". "J'aime être avec les gens" et l'appareil photo est "un prétexte" pour les aborder, dit-il à l'AFP. "C'est un outil formidable pour vivre une vie différente de celle qu'on aurait dû vivre".

Passé à la couleur en 2008, il travaille aussi sur des films et des écrits depuis de longues années. Et reste aux aguets, dans l'Amérique de Trump: "Nous avons élu un président très difficile, qui fait peur. Aujourd'hui, il faut prêter attention aux gens dans notre pays, à qui ils sont vraiment, à ce qu'ils ressentent vraiment".

Aux Etats-Unis, "une grande partie de la photographie que nous faisons actuellement est simplette alors que nous devons scruter la complexité", regrette-t-il. "Il y a beaucoup à faire, mais cela doit être fait avec l'écriture, avec la parole des gens. La photo seule peut faire des dégâts. Si on ne fait pas attention, elle pourrait nous diviser davantage encore".

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