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La femme cachée de Degas démasquée par des chercheurs

C'est la magie de la science. Grâce à des techniques poussées d'imagerie, des chercheurs sont parvenus à faire réapparaître virtuellement le visage d'une jeune femme peinte par Edgar Degas sur une toile recouverte par la suite de sa main par un autre portrait.

Selon ces scientifiques, la belle ressuscitée pourrait être Emma Dobigny, un des modèles favoris de l'artiste français (1834-1917).

Elle se cache derrière le tableau "Portrait de femme" (1876-1880), qui se trouve dans les collections de la National Gallery of Victoria à Melbourne (Australie). Il représente une femme de trois quarts, vêtue de noir, dont l'identité n'a pas encore été déterminée par les historiens d'art.

On sait depuis les années 1920 que cette œuvre recouvre un autre portrait, tête-bêche, dont les contours ont affleuré peu à peu, brouillant le visage de la femme du dessus.

Cela est dû à l'altération progressive d'un pigment de la couche supérieure de peinture, qui devient de plus en plus transparent, a expliqué à l'AFP le chimiste David Thurrowgood, coauteur de l'étude publiée jeudi dans Scientific Reports (Nature).

Jusqu'à présent, les scientifiques n'étaient pas parvenus à déchiffrer la figure cachée.

"Avec des rayons X classiques, on aperçoit seulement une figure fantomatique, peut-être une femme", précise M. Thurrowgood, conservateur au Queen Victoria Museum and Art Gallery de Launceston (Australie).

"Nos travaux confirment non seulement que c'est bien une femme, mais aussi qu'il s'agit d'une autre peinture de Degas jusqu'alors inconnue", poursuit-il. "C'est très excitant. Ce n'est pas tous les jours que l'on découvre une nouvelle peinture de Degas, cachée à nos regards."

Pour parvenir à ces résultats, les scientifiques ont soumis le tableau aux rayons X du synchrotron australien de Clayton.

"La lumière qui y est produite est un million de fois plus brillante que celle du Soleil", a indiqué à l'AFP Daryl Howard, chercheur au synchrotron et coauteur de l'étude.

- De beaux yeux noirs -

La lumière synchrotron est produite lorsque des électrons de haute énergie circulant dans un anneau de stockage sont déviés par des champs magnétiques.

Pour analyser la composition élémentaire des pigments du tableau, les chercheurs ont utilisé une technique non destructive, nommée spectrométrie de fluorescence X (XRF).

Avec un ordinateur, ils ont ensuite reconstruit virtuellement les couleurs possibles de la peinture sous-jacente. Le visage d'une jeune femme brune, aux yeux sombres et au nez affirmé, leur est apparu.

"Nous suggérons qu'il s'agit d'Emma Dobigny, après comparaison avec d'autres œuvres de Degas la représentant", note M. Howard.

"C'est tout à fait possible que ce soit elle", estime Henri Loyrette, ancien président du musée du Louvre, spécialiste reconnu d'Edgar Degas et commissaire d'une exposition sur le peintre actuellement présentée à la National Gallery of Victoria à Melbourne. Le fameux "Portrait de femme" y est présenté.

M. Loyrette va plus loin. Il pense que ce "Portrait de femme" pourrait être celui d'Emma Dobigny, une hypothèse qu'il a suggérée dès le mois de mai à un expert de la National Gallery of Victoria.

"Elle avait de beaux yeux noirs, une ligne de sourcils particulière. Sa physionomie était assez reconnaissable", souligne M. Loyrette.

"Il était fréquent chez Degas de repeindre" sur un autre travail. "Il reprenait avec des variantes", indique M. Loyrette. "En soi, ce n'est pas exceptionnel."

Née dans l'Oise en 1851, Marie Emma Thuilleux (Emma Dobigny), qui vivait à Montmartre, était un modèle célèbre. Elle a posé pour Degas à la fin des années 1860, et peut-être plus longtemps. Et a également inspiré Camille Corot et Pierre Puvis de Chavanne. Elle est morte en 1925.

Degas l'a utilisée comme modèle, mais il l'a également représentée telle qu'en elle-même dans le gracieux "Portrait d'Emma Dobigny" (1869), détenu par une collection privée en Suisse, selon M. Loyrette.

Les rayons X ont permis depuis plusieurs décennies de découvrir des œuvres cachées sous des peintures. Ceux des synchrotons les font revivre avec une précision inégalée, comme ce portrait de femme retrouvé il y a quelques années sous une toile de Van Gogh représentant une prairie.

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