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La Hongrie d'Orban, une "démocratie vide" selon Arpad Schilling

Homme de théâtre acclamé à l'étranger et figure de proue de l'opposition civique à Viktor Orban, le metteur en scène hongrois Arpad Schilling s'inquiète de voir son pays être devenu "une démocratie vide" après sept ans de pouvoir du dirigeant souverainiste.

"Devenir un activiste n'était pas ma décision", confie dans un entretien à l'AFP cet artiste de 43 ans, qui s'était fait connaître sur la scène européenne avec sa version de "Baal" de Brecht, en 2000.

"Mais à partir de l'arrivée d'Orban, nos activités éducatives et pédagogiques ont été visées et il a fallu réagir", souligne celui qui refuse de faire du théâtre en Hongrie depuis qu'en septembre un proche du dirigeant l'a publiquement accusé de poser "un risque sérieux" à la sécurité du pays.

Arpad Schilling dit avoir d'abord "ri" de cette sentence prononcée à l'issue d'une réunion du Comité de sécurité nationale, une instance officielle. Mais le "manque de solidarité" manifesté par le milieu artistique hongrois lui a laissé un goût amer.

C'est à ses yeux "le triste résultat des années de pression" du pouvoir hongrois sur la société civile: "c'est comme ça qu'on affaiblit une société, les gens ont peur".

A l'inverse, il a reçu des messages de soutien des nombreux théâtres européens où, depuis la fin des années 90, ses spectacles sont programmés et lui ont valu une reconnaissance internationale.

Les prochains mois mèneront le chef du file du théâtre hongrois en Lituanie, en Allemagne, en Croatie et au Monténégro pour différents projets artistiques. Sa nouvelle pièce, "Soulagement", écrite pour un quintette d'acteurs autrichiens est jouée depuis début décembre à Sankt-Pölten, près de Vienne.

S'il a décidé de mettre entre parenthèse le théâtre en Hongrie, il n'abandonne pas le terrain social et politique dans son pays: il y mène à travers sa fondation, Kretakör, des projets éducatifs avec des groupes d'adolescents. Il est, à titre personnel, en première ligne des mouvements civiques d'opposition contre le gouvernement conservateur hongrois.

- 'Un jeu dangereux' -

Baisse puis disparition des subventions publiques pour sa compagnie, interdiction d'intervenir dans les écoles, contrôle fiscal de deux ans, "la pression est montée par étape", décrit le metteur en scène. "Dire que je représente +un risque+ pour le pays, c'est la dernière étape: on livre un nom, un visage à détester. C'est un jeu dangereux."

Revenu au pouvoir en 2010, Viktor Orban, qui briguera un troisième mandat au printemps 2018, s'est attiré de nombreuses critiques internationales en multipliant les décisions controversées en matière d'immigration, de justice, d'éducation, de liberté de la presse et de droit des ONG.

Moins que son sort personnel, Arpad Schilling se dit inquiet de l'état de la société hongroise dans son ensemble: "Les gens sont privés d'accès aux vraies informations, le gouvernement organise des consultations nationales mensongères et fait vivre les citoyens dans une fausse réalité", estime-t-il.

Cette fausse réalité, "ce sont ces gens rencontrés à la campagne qui vous disent que le principal problème de la Hongrie ce sont +les migrants+ alors qu'ils n'en ont jamais vu aucun, et qu'eux-mêmes n'ont pas de quoi se chauffer ou se soigner correctement".

Et si les sept années de gouvernement Orban y sont pour quelque chose, Arpad Schilling y voit aussi "la responsabilité des gouvernements hongrois et des Européens qui ont accompagné la transition du pays après la chute du communisme".

"Après la transition, tout ce qui comptait, c'était l'adaptation au capitalisme et pas la démocratie. Le mur était tombé, on s'est dit +c'est fini+, on a pensé que l'économie allait arranger les choses, on ne s'est pas occupé des gens. C'est l'histoire de tous les pays d'Europe post-communiste", juge-t-il.

Malgré les tentatives de mobilisation de la société civile, auxquelles il prend activement part, malgré les ateliers pédagogiques qu'il a mis en place pour "apprendre à parler, à débattre", Arpad Schilling ne peut s'empêcher d'être pessimiste.

"Orban sera encore et toujours réélu", estime l'artiste, selon qui la Hongrie est devenue "une démocratie vide": "On y vote librement mais le vote ne suffit pas à faire une démocratie".

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