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La malédiction et la poésie de Baal de Bertolt Brecht au TNB

"Cette nuit le ciel est violacé", répète Baal, l'anti-héros de Bertolt Brecht: cette teinte sombre et sensuelle imprègne les deux heures et demie de la descente aux enfers enivrée de ce poète maudit puissamment mise en scène par Christine Letailleur.

Pour cette nouvelle création, mardi, au Théâtre national de Bretagne (TNB), à Rennes, celle qui avait mis en scène en 2015 "Hinkemann", pièce de la même veine écrite dans l'après-Première guerre mondiale par le dramaturge allemand Ernst Toller, persiste et signe dans le sombre avec parfois une certaine lourdeur.

La qualité de la mise en scène tient dans les couleurs somptueuses et tragiques des cieux à l'arrière-plan et dans le jeu d'ombres chinoises portées par les personnages sur les décors dépouillés, tout cela accompagné d'un subtil bruitage de vent.

- Eructant et provocateur -

Cette pièce peuplée de références d'arbres, de cieux, de nuages, de pluies, de senteurs, de feuillages, laisse exploser un hymne charnel à la nature, désespéré et révolté, long poème éructant et provocateur. C'est celui de Baal, poète en rupture avec la société bourgeoise, qui était un peu le jeune Bertolt Brecht lui-même.

Ce poème sans un souffle d'espoir exalte le vertige des sens et de la sexualité la plus libre dans une veine rimbaldienne. Le texte a été magistralement traduit de l'allemand par Loi Recoin.

C'est ce rôle qu’interprète Stanislas Nordey, qui concentre en lui les trois quarts du texte, et avait déjà fait ses preuves dans "Hinkemann".

"Tu as corrompu mon âme, tu corromps tout", reproche Ekart, l'amant du bisexuel Baal, qui finit par lui prendre une femme, signant son arrêt de mort. De commis aux écritures, le poète mis au chômage travaille dans un cabaret où il crée le scandale. Il larguera les amarres, buvant toujours plus, et devenant assassin recherché, qui trouve refuge dans la solitude des bois.

- 'Un bras d'honneur', 'une bête' -

"Brecht fait un bras d'honneur à la bourgeoisie et à ses vérités raisonnables. Il montre que la création se situe plutôt du côté des instincts mauvais (...) Il n'obéit à aucune loi, il est libre comme l'air, asocial et anarchiste. A l'image du jeune Brecht, il n'a ni Dieu ni maître", écrit Christine Letailleur dans la brochure du TNB.

"C'est une bête, nous dit Brecht. Un être blessé, meurtri, solitaire, un enfant de la guerre, engendré par un monde destructeur. Il s'est réfugié dans la nature et appartient à celle-ci", explique encore la metteuse en scène.

L'auteur du très célèbre Drei Groschen Oper (l'Opéra de quatre sous) avait écrit cette pièce de jeunesse à Munich, alors centre culturel en Allemagne, dans diverses versions. La première paraîtra en 1918, alors qu'il avait à peine vingt ans. Il ne cessera d'y retravailler. D'autres versions sortiront en 1919 (celle qui est jouée au TNB), en 1920, en 1926, en 1955.

Brecht, qui aurait voulu écrire une pièce sur le poète malandrin François Villon, emploie dans ses envolées révoltées un langage cru et naturel d'une jeunesse qui, revenue de la guerre, ne croit qu'aux forces magiques de la nature, et n'adore aucun Dieu ni aucune idole bourgeoise. On y retrouve la violence visuelle de la peinture expressionniste allemande.

A la fin, un peu comme Don Juan entraîné par la statue du Commandeur, Baal s'écroule sur un mur en ruines enrobé de fumées menaçantes. Avant, alors qu'il est mourant, un homme lui essuie le front. Sort alors de la bouche de Baal le seul merci de la pièce.

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