Accueil Actu

Le drame des réfugiés hante le Festival d'Avignon

Migrants, réfugiés, "suppliants" comme le titre du beau texte de l'Autrichienne Elfriede Gelinek qui inspire la pièce "Borderline", hantent plusieurs spectacles du festival d'Avignon cette année.

Même dans le Off, où le public cherche davantage que dans le "in" la distraction, le directeur du Chêne Noir Gérard Gelas a pris le risque d'inviter ce sujet sensible avec la pièce "Migraaaants", du Roumain Matéi Visniec.

On y suit le destin de quelques réfugiés aux mains de passeurs sans scrupules, et plus particulièrement celui d'un jeune Africain dépouillé par des trafiquants d'organes d'un rein et d'un oeil. S'y ajoute la révolte de femmes voilées... c'est beaucoup pour une seule pièce, et cela frôle la naïveté.

Côté "in", dans la maison contemporaine aux parois de verre où l'Australien Simon Stone a revisité (du 15 au 20 juillet) toutes les névroses familiales du dramaturge norvégien Henrik Ibsen, c'est Caroline, la paria de la famille, qui proposait d'héberger des réfugiés.

La maison d'architecte est vacante, pourquoi ne pas en profiter pour l'ouvrir à ceux qui frappent aux portes de l'Europe plutôt qu'en faire un musée ? L'idée généreuse est vite étouffée dans l'oeuf par un vote du conseil municipal.

Le complexe "Borderline", spectacle du "in" du dramaturge flamand Guy Cassiers et de la chorégraphe française Maud Le Pladec à partir du texte d'Elfriede Gelinek, laisse pour sa part le spectateur déstabilisé.

Sur scène, des danseurs aux vêtements superposés à la va-vite se glissent sous de longues poutres de bois, comme dans la soute d'un vieux rafiot. Le passeur "en slip de bain" leur a montré le fonctionnement du moteur et est reparti à la nage.

- Choeur antique -

Dans la pénombre, les danseurs remuent à peine, de peur de faire chavirer l'embarcation. Ils ne parlent pas.

Les paroles - d'inquiétude, de stupéfaction, de rejet, de culpabilité - sont prononcées par des gens comme nous : des Européens dont les visages projetés sur un grand écran semblent observer de très loin le drame qui se joue sur leurs yeux.

"Je me sens envahir de compassion", dit l'un. "Impossible pour nous, ils sont trop", dit l'autre.

Le spectacle nous place dans la position inconfortable du témoin impuissant, de celui qui ferme les yeux alors qu'il sait très bien qu'ils sont des milliers à frapper à la porte.

Elfriede Jelinek, prix Nobel de littérature en 2004, a écrit en 2013 sa pièce, "Les Suppliants" (publiée en 2016 chez L'Arche Editeur) et n'a cessé depuis de la remanier sur son blog, en fonction de l'actualité. Mais le texte ressemble davantage à un chant antique qu'à une pièce d'actualité.

Ulysse éloigné de son île et la malheureuse Iphigénie exilée en Tauride traversent cette mélopée sur la souffrance des réfugiés.

Après les voix des habitants de la riche Europe, apeurés face à l'étranger sur leur sol, s'élèvent les voix des migrants, comme un choeur antique.

"Vivants. Vivants. C’est le principal, nous sommes vivants", chante le choeur des "Suppliants". Sur le plateau, les danseurs sont tantôt couchés, prostrés, tantôt fébriles, battant des bras d'impuissance.

"Qui constatera notre existence ? (...) Même le suppléant du suppléant ne veut pas entendre notre histoire", dit l'un d'eux.

Guy Cassiers, auteur d'un théâtre engagé, mais également novateur sur la forme, avec une utilisation millimétrée de la vidéo, a mêlé au texte et à la danse des images, projetées sur une mosaïque d'écrans. Images d'actualité que le spectateur déjà happé par le texte et les corps a du mal à appréhender.

On reste pétrifiés par les dernières phrases, désespérées, de ces hommes et femmes en quête d'un "meilleur destin". "Ça n’arrivera pas. Ça n’existe pas. Nous ne sommes même pas là. Nous sommes venus, mais nous ne sommes pas là."

À la une

Sélectionné pour vous