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Le rituel macabre des "Damnés" entre à la Comédie-Française

Le salut nazi sur la scène de la Comédie-Française, les sordides bacchanales des SA, et une fusillade finale évoquant l'attentat du Bataclan: "Les Damnés", qui avaient glacé d'effroi le public au Festival d'Avignon, font leur entrée salle Richelieu jusqu'au 13 janvier.

"Attention, certaines scènes de ce spectacle sont susceptibles de heurter la sensibilité des plus jeunes", met en garde la maison de Molière sur son site internet.

On ne sort effectivement pas indemne de l'adaptation du film de Luchino Visconti (1969) par le flamand Ivo van Hove.

Dans la Cour d'honneur du Palais des papes, où la pièce avait ouvert le festival d'Avignon, le public sous le choc n'avait pas applaudi avant de longues secondes à la fin. Salle Richelieu, les spectateurs savaient à quoi s'attendre et n'ont peut-être pas reçu la pièce avec la même sidération.

Le passage de la gigantesque Cour d'honneur à la salle Richelieu n'enlève pourtant rien à la puissance de la mécanique macabre qui voit la famille von Essenbeck s'entretuer, tandis que le pouvoir nazi met la main sur les aciéries familiales.

Le cadre resserré amplifie le caractère de tragédie grecque de la pièce, version moderne d'une famille des Atrides en proie à la haine et à l'appétit de pouvoir. Les acteurs sont plus proches du public que dans l'immense Cour d'Honneur, et la vidéo, omniprésente dans la pièce, s'efface davantage devant leur jeu.

La pièce s'ouvre sur l'anniversaire du patriarche. Dans une première compromission avec le pouvoir nazi, il évince son fils Herbert, opposant notoire à Hitler et confie la vice-présidence des aciéries à Konstantin, membre des SA.

C'est le début d'une succession de meurtres, mis en scène de manière extrêmement ritualisée par Ivo van Hove: chaque mort est transporté dans un cercueil situé en bord de scène, tandis qu'à l'avant-scène un sifflet crache de la vapeur, évoquant les trains de la mort, et que des cendres sont versées dans une urne.

Pour Ivo van Hove, reprendre le scénario des "Damnés" répond à "une urgence" dans le climat actuel, de montée des populismes en Europe et aux États-Unis.

La pièce veut interpeller le spectateur. Quand Herbert lance qu'il "ne sert à rien d'élever la voix quand il est trop tard", il descend du plateau pour parler à la salle.

Lorsque dans la dernière scène, le jeune héritier Martin mitraille le public, les attentats du 13 novembre sont dans toutes les têtes. La comparaison est voulue: pour Ivo van Hove, si Martin "finit par être un nazi, ce n'est pas par idéologie, mais parce qu'il est utilisé par les vrais idéologues. On peut comparer cela au jihadisme: ce sont les religieux radicaux qui manipulent ces jeunes gens frustrés".

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