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Léon Bloy: cent ans après sa mort, le salut par les livres

"Je fais des livres qui vivront mais qui ne me font pas vivre": ainsi parlait l'écrivain Léon Bloy, "mendiant ingrat" à la langue tranchante. Cent ans après sa mort, le "catholique absolu" est de fait lu et célébré, sinon toujours compris.

L'automne 2017 est prodigue en hommages au "Vieux de la montagne", autre qualificatif dont le pamphlétaire à la moustache en bataille s'est gratifié dans son journal intime.

Plusieurs ouvrages lui sont consacrés, ainsi qu'un colloque au Collège de France et à Normale Sup', après un autre à Rennes... Sans oublier une exposition à Bourg-la-Reine, banlieue parisienne où l'érudit a habité en "doux mystique" au soir de sa vie et s'est éteint le 3 novembre 1917, à 71 ans.

Bloy est de retour: dans la presse, qu'il vomissait pourtant ("la grande vermine"), et jusque dans les mots du pape François, qui l'a cité dès son premier sermon pontifical en mars 2013 ("Celui qui ne prie pas le Seigneur prie le Diable").

Léon XIII, dont Bloy disait avoir attendu la mort "pendant plus de vingt ans", n'en a pas fait autant. Dans ses écrits, dont deux romans inclassables ("Le Désespéré", largement autobiographique, et "La Femme pauvre"), l'"entrepreneur de démolitions" passé par le cabaret Le Chat Noir à Montmartre n'a cessé de brocarder la modernité, les "lieux communs", les puissants (les "digérants" républicains), l'argent...

Converti au catholicisme après la rencontre de l'écrivain Barbey d'Aurevilly, père littéraire et spirituel, l'ancien socialiste révolutionnaire va demeurer un anticlérical moquant les "élégants du sacerdoce". Le tout dans une langue nourrie de symboles, pleine de références à la Bible - lue en latin -, hérissée de mots rares. Un verbe drôle souvent, féroce toujours, jusqu'à l'outrance.

- "QUE POUR DIEU" -

Mais attention, prévient Emmanuel Godo, qui vient de signer un "Léon Bloy, écrivain légendaire" (Cerf): "L'une des caricatures les plus tenaces est de le réduire au pamphlétaire, à la figure truculente du combattant".

Or, il "n'est pas dans la pose littéraire, c'est un homme qui vit l'Evangile et l'éthique de pauvreté à plein. C'est le prix de sa liberté", poursuit l'essayiste en écho à la misère que l'écrivain a dû affronter. "La vérité bien nette, et qui éclate dans tous mes livres, c'est que JE N'ECRIS QUE POUR DIEU", a martelé l'intéressé, en capitales dans le texte.

Pourtant, Bloy sent encore le souffre. En 2013, la justice a partiellement censuré "Le Salut par les Juifs", parmi d'autres écrits réédités par le polémiste d'extrême droite Alain Soral. "Une très mauvaise aventure", se souvient le frère dominicain Augustin Laffay, préfacier des "Essais et pamphlets" de Bloy fraîchement réunis dans la collection Bouquins (Robert Laffont).

"Soral a commis une vilenie en faisant passer ce livre pour antisémite, ce qui est impossible". Et le théologien de rappeler que ce texte de 1892, certes dérangeant, était une réplique de Bloy à l'antisémite Drumont. Bernard Lazare, héros de l'affaire Dreyfus, l'a d'ailleurs jugé philosémite, comme Kafka, Bernanos, Claudel ou encore Lévinas.

Parfois portraituré en "anar de droite", Bloy est-il seulement récupérable? "Il n'est ni de droite ni de gauche. Anti-idéologue, il détestait la politique. Ceux qui veulent le republier en faisant croire qu'il était d'extrême droite se trompent très lourdement", tranche Emmanuel Godo.

Pour Pierre Glaudes, grand spécialiste de l'écrivain, qui vient de signer "Léon Bloy, la littérature et la Bible" (Belles Lettres), cet intellectuel exigeant "ne sera jamais un auteur populaire mais il aura toujours un lectorat assez consistant et bigarré". De résistants allemands jusqu'à Michel Houellebecq.

"Je le vois à la Sorbonne, il attire pas mal la jeunesse", assure l'universitaire. "J'ai deux exemples de normaliens qui viennent faire des thèses sur Bloy sans être du tout des fanatiques politiques ou religieux. On l'étudie comme un objet littéraire. Je crois que c'est ça, le salut, pour Bloy".

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