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Les portraits de Cézanne, versant mal connu de son oeuvre, au Musée d'Orsay

Sur près de mille tableaux peints par Cézanne, 160 sont des portraits. Des toiles moins connues que ses paysages malgré leur audace, comme le montre, au Musée d'Orsay, la première grande exposition jamais organisée sur ce versant de son oeuvre.

Regard d'assassin, yeux injectés de sang, léger strabisme : l'un des premiers tableaux de Cézanne, peut-être le tout premier, est un autoportrait de 1862-1864. "L'artiste est d'emblée très original", remarque Xavier Rey, commissaire de l'exposition (ouverte à partir de mardi, jusqu'au 24 septembre) avec John Elderfield, conservateur en chef honoraire du MoMA de New York, et Mary G. Morton, de la National Gallery of Art de Washington.

Deux ans plus tard, Cézanne peint un portrait très ironique de son père, avec lequel il entretenait des relations conflictuelles. Coiffé d'une calotte, assis dans un fauteuil à haut dossier, le très conservateur Louis-Auguste Cézanne est représenté d'une touche épaisse en train de lire +L'Evénement", journal où Zola avait critiqué la peinture académique.

Après ces portraits de jeunesse consacrés à sa famille (père, mère, soeur, oncle), Cézanne va surtout peindre son épouse - 29 toiles -, quelques amis proches, des hommes et femmes du peuple et signera aussi 46 autoportraits, dont 26 à l'huile. Au final, un ensemble à peine moins fourni que celui des natures mortes (190 toiles).

Pourquoi ce moindre intérêt pour les portraits alors que deux ou trois expositions sont consacrées chaque année au "précurseur du cubisme" ? Sans doute, estime Xavier Rey, parce qu'il est "plus difficile de déterminer dans les portraits les ferments d'une certaine modernité de Cézanne", alors que "c'est justement là que se manifeste d'abord son audace picturale".

- Lumière translucide -

A l'été 1866, il peint une dizaine de portraits de son oncle maternel Dominique, dont cinq sont présentés à Orsay. Utilisant exclusivement un couteau à palette, il empile les couches de peinture. Une technique inspirée de Gustave Courbet et dont la hardiesse ne sera comprise que beaucoup plus tard. "La volumétrie du visage est obtenue par la peinture même", explique Xavier Rey. Cette manière, qu'il a qualifié de "couillarde", marque un tournant dans sa carrière.

Autres séries, celles des portraits de sa compagne, Hortense, un de ses modèles qu'il épousera sur le tard. Dans celui intitulé "Mme Cézanne à la jupe rayée", ce vêtement perd de sa profondeur dans un jeu très formel pour devenir une peinture en elle même. Les quatre toiles d'Hortense vêtue d'une robe rouge, exceptionnellement réunies pour cette exposition, expriment dix ans plus tard la volonté du peintre de donner au modèle une présence plus sculpturale.

Une dizaine d'autoportraits sont particulièrement révélateurs de l'évolution de la peinture de Cézanne, de la série "au crâne chauve" (vers 1875) "à la pâte épaisse et tourmentée", aux toiles des années 80, dont le remarquable tableau du musée Pouchkine, beaucoup plus construit, à la lumière translucide.

Chef d'oeuvre également, l'"Autoportrait à la palette", le seul où Cézanne se représente en artiste. "La lumière au lieu d'être un éclairage du sujet vient du sujet lui-même", explique Xavier Rey.

Le traitement que fait subir Cézanne à ses modèles est manifeste dans les deux toiles de "l'Homme aux bras croisés" : pose dérangeante, visage déformé, incongruité anatomique.

"Cézanne a procédé à une remise en cause de la notion même de portrait au point qu'on ne peut plus parler de portrait". La dissolution est presque totale avec les tableaux sur le jardinier Vallier "à la surface densément travaillée".

"Portraits de Cézanne" est organisée par les musées d'Orsay et de l'Orangerie, la National Portrait Gallery de Londres (26/10 au 11/2 2018) et la National Gallery of Art (25/3 au 1/7 2018).

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