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Littérature: des romans pour donner de la voix aux invisibles

Comment donner voix au chapitre à des millions d'invisibles, ces ouvriers et petits employés que personne ne remarque plus? Par le roman bien sûr.

Le dramaturge Frédéric Viguier, Gérard Mordillat, dernier des fidèles de la classe ouvrière, Didier Castino qui signe un premier roman rageur sur la courte vie d'un ouvrier ou encore Isabelle Stibbe qui revient sur la fin des hauts-fourneaux en Lorraine racontent, chacun à leur manière, ce monde qu'on préfère d'habitude ne pas voir.

Transposé au théâtre, "Ressources inhumaines", premier roman de Frédéric Viguier, constituerait une pièce féroce. Pour Albin Michel, son éditeur, ce roman est "implacable, glaçant et dérangeant".

L'action se passe dans un hypermarché où on exige "bac plus quatre pour tirer des palettes". L'héroïne du roman n'a pas de nom. C'est simplement "Elle". Phrases sèches, dialogues épurés accentuent le sentiment de déshumanisation. La peur du chômage fait accepter toutes les pressions, toutes les humiliations. Dans le roman de Viguier, les salariés ne se révoltent pas. Ils subissent.

Le premier roman de Didier Castino, "Après le silence" (Liana Levi), donne la parole à un mort: Louis Castella.

L'usine "c'est ma vie" raconte l'ouvrier, au delà de la mort, dans un monologue adressé au plus jeune de ses fils.

Il raconte le rythme épuisant, la "chaleur infernale" de la fonderie où il est mouleur. Mais la vie à l'usine, ce sont aussi les camarades, la fraternité, la solidarité face aux patrons. Il y a les plaisirs simples d'une vie ouvrière. Les vacances en Savoie avec la première voiture neuve de la famille, une Ami 8.

La vie s'arrête le 16 juillet 1974 quand un moule de sept tonnes s'effondre sur Louis, âgé de 43 ans. Ce n'est pas la fin de l'histoire pourtant. Le récit de Didier Castino prend une intensité nouvelle en donnant la parole au fils cadet. "Je ne suis pas ouvrier, il n'y a plus d'ouvriers", constate le fils tiraillé entre amour et colère contre un père trop tôt disparu et devenu une icône. Alors faire table rase du passé? "On peut être un homme digne sans être ouvrier", dit le fils qui en se libérant du fantôme encombrant de son père va réussir à s'affranchir "sans trahir".

- La belle équipe -

Dans "les maîtres du printemps" (Serge Safran), Isabelle Stibbe a choisi quant à elle de revenir sur les luttes ouvrières des sidérurgistes de Lorraine dans un roman polyphonique. Le ton est volontairement militant, souvent lyrique même si, in fine, pointe le désenchantement sinon le renoncement. "Les parents, quand ils faisaient grève, c'était pour des augmentations de salaires. Les fils, aujourd'hui, ils font grève pour continuer de travailler".

Et quel travail? Mary Dorsan, infirmière en psychiatrie, revient sur son quotidien dans son premier roman "Le présent infini s'arrête" (POL). Le récit donne à voir ceux qui sont enfermés, patients et soignants, et l'on se surprend à se demander: c'est donc ainsi.

La journaliste Bérangère Lepetit a choisi de se faire embaucher comme intérimaire dans un abattoir breton. Elle raconte cette expérience dans "Un séjour en France" (Plein jour). De son séjour parmi les ouvrières des abattoirs elle dit: "Je porte un regard différent sur les gens qui ont arrêté de voter, subissent le travail et attendent la retraite avec impatience. Je les comprends".

Quel lecteur ne comprendrait pas Trinité, Simone et Berthe les trois vieilles prolos déjantées qu'Ingrid Naour nous invite à suivre dans "Les trous de conjugaison" (Cherche Midi)? Ce roman libertaire et joyeux déborde de vie.

Gérard Mordillat imagine une autre belle équipe de prolétaires dans "La brigade du rire" (Albin Michel). La joyeuse bande enlève un éditorialiste, chantre de la dérégulation du marché, et le séquestre dans un bunker où elle l'oblige à travailler dans les conditions qu'il préconise dans ses éditos.

Percer des trous au cours de semaines de travail de 48 heures, pour un salaire inférieur au Smic de 20% "pour concurrencer les Chinois" y compris le dimanche "en cas de coup de chauffe". Gérard Mordillat s'en donne à coeur joie.

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