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Mohamed Benzizine, infatigable artisan au chevet des églises lyonnaises

A 65 ans dont près de 43 passés à rénover le riche patrimoine religieux de Lyon et sa région, l'heure de la retraite n'a toujours pas sonné pour Mohamed Benzizine, infatigable chef de chantier devenu symbole d'intégration presque malgré lui.

La basilique d'Ainay du XIIe siècle, l'église Saint-Nizier niché au cœur de la presqu'île ou la primatiale Saint-Jean dans le Vieux-Lyon... Difficile pour lui de choisir un chef d’œuvre parmi les dizaines d'édifices, églises mais aussi châteaux, où il a travaillé.

"Elles sont toutes belles... même les plus petites", estime ce sexagénaire formé à la maçonnerie sur le tas, qui jonglait encore cette semaine entre les chantiers de rénovation de la cathédrale Saint-Jean et celui d'une église plus modeste en banlieue lyonnaise.

Né au début des années 1950 à Saïda, dans le nord-ouest d'une Algérie encore française, rien ne prédestinait "Ahmed" à devenir un intime des clochers hexagonaux. Rien si ce n'est le parcours presque banal d'un immigré maghrébin des années 1970 qui, après avoir récolté raisins, noix et betteraves, se tourne vers le bâtiment, d'abord le terrassement puis la maçonnerie et la rénovation.

- Légion d'honneur -

"J'ai eu la chance à l'époque d'être bien épaulé. D'autres ne l'ont pas eue", souffle ce petit homme au physique passe-partout, "bleu" de travail sur les épaules, qui lui aussi a tendu la main à de nombreux jeunes "en les tirant par le haut".

Il sera décoré samedi à la cathédrale Saint-Jean, pour l'inauguration de son chœur rénové, du grade de chevalier dans l'ordre de la Légion d'honneur. "Une fierté", confie-t-il.

"C'est sûrement depuis 30 ans celui qui connait le mieux la primatiale, relève Didier Repellin, architecte en chef des Monuments Historiques. Il a une compétence remarquable et connaît les bâtiments de l'intérieur."

"Il a accumulé une belle expérience et il a été à bonne école en travaillant avec Maximilien Zychla (tailleur de pierre renommé, ndlr)", souligne Nicolas Reveyron, professeur d'histoire de l'art et d’archéologie du Moyen Âge à l'université Lyon-2.

"Il s'est formé sur le terrain, il possède bien la réalité du métier, ce qui n'est jamais très évident. Il est aussi conseil. Chimiquement, mécaniquement, il sait si telle ou telle pierre va se détériorer. Esthétiquement, il sait si elle va accrocher la pollution ou se fondre dans la masse", ajoute l'enseignant-chercheur.

- Gargouille renovée -

En 2010, "Ahmed" avait eu droit à son quart d'heure de célébrité lorsqu'il fut découvert qu'une gargouille rénovée de Saint-Jean portraiturait le maçon de confession musulmane.

Réalisée dans la plus pure tradition moyen-âgeuse, avec l'accord des Monuments historiques et du recteur de la cathédrale, accompagnée d'un "Dieu est grand" gravé en français et en arabe, cette sculpture avait provoqué l'ire des identitaires lyonnais et offusqué les bonnes âmes. Même la presse internationale s'était déplacée pour se pencher sur celui qui était devenu un symbole de tolérance inter-religieuse.

Très modestement, Mohamed Benzizine estime être dans le "prolongement" des bâtisseurs des cathédrales et églises du Moyen Âge:" j'ai beaucoup d'estime pour ces gens-là... ils n'avaient pas les moyens qu'on a maintenant".

Sur un chantier comme celui de Saint-Jean, il est amené à dialoguer avec ces "gens qui ont disparu depuis longtemps", bâtisseurs ou rénovateurs des siècles passés, qui ont laissé des traces permettant de comprendre l'édifice. Et parfois des erreurs à corriger.

"Le soir, on quitte l'échafaudage et on ne sait plus à quelle époque on est", résume Nicolas Reveyron.

Pas sûr que Mohamed Benzizine souhaite vraiment quitter ces échafaudages et ces vieilles pierres, lui qui retarde au maximum l'âge de sa retraite et envisage même de faire du "bénévolat", une fois sa carrière professionnelle terminée.

"Ces lieux, dit-il, ont un secret, un mystère". Et de souligner avec un brin de malice: "je n'y ai jamais eu d'accident et je ne suis jamais tombé malade".

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