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Musée Gustave Moreau: comment le maître inspirait son élève Georges Rouault

Albert Marquet, Matisse, Georges Rouault : tous ces artistes furent des élèves de Gustave Moreau, peintre du symbolisme, mais aussi professeur vénéré, ouvert aux jeunes talents qu'il encourageait à devenir eux-mêmes.

Une exposition au musée Gustave Moreau à Paris (jusqu'au 25 avril) revient sur ses liens avec Rouault, son élève préféré, qui le lui rendait bien. Une proximité difficile à concevoir tant leur styles picturaux semblent éloignés.

D'un côté, un peintre de la précision à l'inspiration mythologique ou fantastique, souvent présenté comme un précurseur du surréalisme. De l'autre, un adepte du travail en pleine pâte, frôlant parfois l'expressionnisme, tourmenté par les interrogations religieuses et préoccupé par la question sociale.

Ils ont cependant en commun leur goût pour la couleur et Moreau considère son élève "comme représentant (sa) doctrine picturale".

"Le lien affectif entre les deux hommes était très fort", souligne Marie-Cécile Forest, directrice du musée et commissaire de l'exposition. Ainsi, Rouault a été pendant trente ans conservateur du musée créé dans son propre atelier par le peintre symboliste deux ans avant sa mort.

Il est aussi l'auteur du premier inventaire et du premier catalogue. Une lourde tâche, Moreau étant un accumulateur compulsif qui avait conservé quelque 25.000 oeuvres, dont 15.000 de sa main, et même 400 palettes d'aquarelles.

Sur une photo de l'atelier Gustave Moreau à l'Ecole des Beaux-Arts en 1897, Rouault est au premier rang au centre, légèrement détaché du groupe, l'air assuré. Parmi les élèves, très discret, Matisse.

Les élèves de Moreau - 217 au total, entre 1892 et 1897, dont les principaux peintres fauves - vont organiser trois expositions de ses oeuvres en 1910, 1926 et 1934. "A la fin de leur vie, Rouault et Matisse se retrouvaient pour parler de lui", rappelle Marie-Cécile Forest.

- 'Il leur a donné l'inquiétude' -

Professeur bienveillant et libéral, Moreau "va permettre à ces jeunes artistes de devenir eux mêmes", souligne la commissaire. "Il mis ses élèves (...) hors des chemins. Il leur a donné l'inquiétude", a dit Matisse.

L'enseignement du maître, candidat malheureux à plusieurs reprises au Prix de Rome, comme Rouault, reste classique : il incite ses élèves à étudier les oeuvres des grands créateurs, tout particulièrement Rembrandt, qu'il adule, mais aussi Léonard de Vinci, Véronèse, Chardin.

Sa lucidité sur les qualités de ses élèves est impressionnante : "Vous aimez un art grave et sobre, et dans son essence religieux, et tout ce que vous faites sera marqué de ce sceau", écrit-il à propos de Rouault. Et sur Matisse, il prédit : "vous allez simplifier la peinture".

Présentée en 2013 au Japon où Moreau est révéré à l'égal d'un Monet, l'exposition montre, à travers des thèmes comme la femme, le paysage ou la peinture religieuse, comment "Georges Rouault a pu se rapprocher de son maître ou au contraire faire sécession".

Quand Moreau reste fidèle à la peinture d'histoire et retient un archétype pour ses héroïnes, qu'elles s'appellent Eve, Dalila, Messaline ou Hélène de Troie, Rouault prend, lui, des modèles de la rue - prostituées, filles de cirque, bohémiennes -.

Il porte sur elles un regard sans complaisance mais plein de compassion, comme dans le "Nu aux jarretières rouges", une aquarelle où il annonce les portraits de prostituées des expressionnistes allemands.

L'exposition met en parallèle "Notre Jeanne" de Rouault, image crépusculaire de la "Pucelle d'Orléans", et "La Parque et l'Ange de la Mort", oeuvre fascinante de Moreau, où "il change de façon de peindre, avec une matière plus épaisse et un style plus expressionniste".

Baptisée "Souvenirs d'atelier", l'exposition est aussi l'occasion de (re)découvrir le musée Gustave Moreau, lieu unique et mystérieux cher à André Breton et Salvador Dali, avec ses placards secrets, ses présentoirs à dessins et son célèbre escalier à vis.

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