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Pénélope, épouse, mère et femme de pouvoir... à l'Opéra

Aucune "affaire Penelope Fillon" ne se profilait à l'horizon lorsque le Théâtre des Champs-Elysées a programmé il y a trois ans "Le retour d'Ulysse", mais impossible aujourd'hui de ne pas y penser alors que le chef d'oeuvre de Monteverdi est à l'affiche (du 28 février au 13 mars).

"Je vous mentirais si je vous disais qu'on n'a pas fait le parallèle en répétition", reconnaît la metteuse en scène Mariame Clément. "Pénélope, c'est l'épouse et la mère, il y a là quelque chose d'assez troublant".

"C'est un type de personnage dont on ne parle jamais à l'opéra", constate-t-elle au sujet de l’œuvre de Monteverdi: "ni une jeune fille, ni une sorcière, ni une amante, elle est à l'âge où les actrices ne trouvent plus de travail. Dans l'esprit du public, c'est l'épouse fidèle, avec sa tapisserie, quelque chose d'un peu ennuyeux mais cette femme a quand même régné seule vingt ans et tenu tête à une horde de prétendants qui essaient de l'épouser pour lui ravir le trône, c'est une femme de pouvoir".

"Je ne la vois pas du tout comme un modèle de fidélité exemplaire, mais comme une figure de résistance", souligne la cheffe d'orchestre Emmanuelle Haïm, qui se réjouit de diriger la musique "très charnelle" de l'oeuvre, servie par une distribution exceptionnelle de 14 chanteurs (Rolando Villazon, Magdalena Kozena, Anne-Catherine Gillet, Isabelle Druet...).

Dans "Le Retour d'Ulysse" (1640), Monteverdi, à qui on doit les tout premiers opéras, s'attache très finement à la psychologie des personnages tout en conservant le caractère mythique du chef d'oeuvre d'Homère.

"C'est à la fois un monument de la littérature et un opéra fondateur de l'histoire lyrique, c'est intimidant", reconnaît Mariame Clément.

La metteuse en scène a voulu "incarner les personnages pour qu'ils nous touchent, sans transformer cette histoire comme s'il s'agissait de monsieur et madame Tout-le-Monde: c'est quand même Ulysse et Pénélope".

Sa mise en scène joue avec humour du contraste des scènes comiques et tragiques dans l'oeuvre, bousculant le décor classique du palais d'éléments très pop, comme ces bulles colorées et très "BD", à la Roy Lichtenstein, ponctuant d'onomatopées ("Smash", "Pow") le massacre des prétendants par Ulysse.

- Honneur aux femmes -

Pour cet opéra où Pénélope tient la vedette autant qu'Ulysse, trois femmes sont aux commandes, une combinaison exceptionnelle dans un monde plutôt masculin: la cheffe Emmanuelle Haïm, pionnière de la musique baroque à la tête de son ensemble Le Concert d'Astrée, Mariame Clément et Julia Hansen pour les décors et costumes.

"J'ai mis en scène 30 opéras, et c'est la première fois que je travaille avec une femme cheffe d'orchestre, c'est consternant", souligne Mariame Clément.

Les femmes ne représentent que 4% des chefs d'orchestre en France et 27% des metteurs en scène, selon la Société des auteurs et compositeurs dramatiques.

Emmanuelle Haïm, qui travaille aussi "pour la première fois avec une équipe entièrement féminine", juge "important pour ma génération de montrer aux filles plus jeunes que c'est possible, que ça existe, qu'elles n'aient pas peur".

"Ca progresse doucement", assure-t-elle, pointant la nomination de femmes à la tête des orchestres de Birmingham (la Lituanienne Mirga Grazinyte-Tyla) et Queensland en Australie (la Mexicaine Alondra de la Parra). En France, Laurence Equilbey, Nathalie Stutzmann, Claire Gibault, Zahia Ziouani se sont fait une place dans le monde fermé du classique.

Les femmes sont un peu plus nombreuses à la mise en scène, mais "plus on atteint un niveau élevé, plus on s'approche du plafond de verre", note Mariame Clément. "A un très haut niveau, on aura tendance à penser que telle ou telle femme n'est pas un très grand artiste. Il y a encore du boulot!"

"Le Retour d'Ulysse" sera donné ensuite à l'Opéra de Dijon les 31 mars et 2 avril.

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