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En Thaïlande, le molam, musique traditionnelle, revit et s'exporte

Saengyan Promduang n'en revient pas: face à elle, de jeunes branchés dansent sur du molam, cette musique originaire de sa région pauvre du nord de la Thaïlande, qui a toujours été méprisée par les élites de Bangkok.

"Je ne pensais pas que les étrangers aimaient le molam", s'étonne cette femme de 55 ans qui nettoie les champs où se déroule le festival de musique Wonderlust, à deux heures de la capitale thaïlandaise.

A l'origine, la musique molam, qui s'apparente à une sorte de blues, avait été développée pour propager les croyances bouddhistes auprès des paysans analphabètes de la région rurale et pauvre de l'Issan, dans le nord-est de la Thaïlande.

Mais cette tradition musicale centenaire que perpétuent des centaines de groupes amateurs en Issan est de plus en plus populaire auprès des élites branchées de Bangkok et même au-delà des frontières thaïlandaises, jusqu'en Europe.

Un changement radical après des décennies de mépris pour cette région reculée et agricole qui s'est vidée de ses forces vives, contraintes de venir occuper à Bangkok des emplois peu qualifiés.

"Je ne suis pas surprise qu'ils aiment le molam, je suis fière", renchérit sa collègue Komkang Thaptham, qui pose son sac à ordures pour regarder quelques instants les rockers locaux du groupe All-Thidsa s'époumoner sur scène.

- 'Musique de chauffeurs de taxi' -

Dans sa forme originelle, le molam raconte la vie rurale sur fond de kaen, un harmonica de bambou. Il est ensuite devenu beaucoup plus électronique dans les années 60, puis funk sous l'influence des soldats américains déployés dans la région.

Plus récemment, ce sont surtout deux DJ thaïlandais, adeptes des vinyles, qui ont beaucoup fait pour faire connaître cette musique.

"La plupart des personnes que j'ai rencontrées à Bangkok à cette époque-là me demandaient +Pourquoi jouez-vous et collectez-vous des enregistrements de molam? C'est de la musique de gens pauvres, de la musique pour les chauffeurs de taxi", se souvient Nattapon Siangsukon, DJ dont le nom de scène est Maft Sai.

C'est lui qui a organisé, avec son camarade DJ Menist, les premiers concerts à Bangkok réunissant des vétérans du molam - certains quasiment à la retraite.

Est ainsi né en 2012 un groupe baptisé Paradise Bangkok Molam International Band, qui a réalisé cinq tournées européennes, se produisant en France, Belgique, Allemagne, Pologne, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas…

- 'Quand la musique est bonne...' -

Cet hétéroclite ensemble compte notamment deux très vieux maîtres du molam - Kammao Perdtanon et Sawai Kaewsombat - et une star du rock.

"Quand la musique est bonne, elle parle d'elle-même", estime Maft Sai lors d'une répétition. "C'est une musique honnête et les gens le sentent".

La modernisation du molam a également été la clé de la réussite pour Rasmee Wayrana, nouvelle étoile de ce blues thaïlandais, qui s'est fait un nom sur la scène européenne.

Le groupe Khun Narin Electric Phin Band, lui, était habitué à jouer dans les mariages à la campagne dans le nord de la Thaïlande, jusqu'à ce qu'un producteur américain découvre ses clips sur youtube. Il a enregistré son premier album en 2014 et un deuxième est depuis sorti. Le groupe a fait deux tournées en Europe. Ses membres n'en restent pas moins riziculteur, étudiant, concierge ou ouvrier d'usine quand ils rentrent chez eux.

La modernisation du molam est vue d'un mauvais œil par les anciens mais pour Arthit Mulsarn, le conservateur d'une exposition itinérante qui relate l'histoire du genre, c'est une évolution logique.

"La musique se renouvelle", explique-t-il. "Le molam n'est pas meilleur ou pire maintenant, il change simplement avec le temps".

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