Accueil Actu

Renaissance théâtrale pour la manufacture des oeillets à Ivry-sur-Seine

Les murs gris et éraflés portent encore des traces de peinture décatie ici et là. A Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), la manufacture des oeillets se mue en théâtre, mais transpire toujours le labeur ouvrier.

"C'est une splendeur, un magnifique outil de travail", s'émerveille Elisabeth Chailloux, la co-directrice du Théâtre des quartiers d'Ivry.

Créé par Antoine Vitez en 1972, avec l'idée d'investir des lieux non dédiés à l'art, le théâtre s'installe dans ce bâtiment industriel classé aux Monuments historiques, après plusieurs années de vagabondage entre différents sites de la ville.

Cette nouvelle demeure rivalise avec les planches parisiennes les plus atypiques, à en croire Mme Chailloux : l'intérieur est "aussi sublime que les Bouffes du Nord" et ses murs patinés, la façade "ressemble à la Cartoucherie" de Vincennes et son écrin de briques rouges.

"La beauté de ce lieu, son architecture industrielle vont certainement inspirer de nouvelles scénographies", espère la metteuse en scène.

Après 18 mois de travaux, le nouveau Centre dramatique national (CDN) sera inauguré samedi, en présence de la ministre de la Culture, Audrey Azoulay.

Les curieux - entrée gratuite sur réservation - découvriront cette immense manufacture du XIXe siècle, construite pour fabriquer des oeillets métalliques (anneaux de renforcement montés sur les chaussures pour mieux les lacer).

Les ouvriers d'antan "n'auraient pas de mal à la reconnaître", assure Paul Ravaux, l'architecte chargé du chantier. Il a privilégié une "restauration soft". Murs bruts, balcons rouillés, escaliers en bois et fonte... la grande halle de 500 m2 qui accueille le visiteur est globalement restée dans son jus.

Dans la salle de spectacles, la fonte environnante donne l'impression de s'asseoir dans la cale d'un paquebot. Il a fallu creuser quatre mètres sous terre pour installer la scène et les gradins amovibles. La salle est "entièrement transformable", pour pouvoir s'adapter à toutes les mises en scène, explique M. Ravaux.

- De Chéreau à Depardon -

Sans attendre l'ouverture, certains Ivryens ont déjà investi la manufacture : le Théâtre des quartiers d'Ivry y dispense depuis septembre ses ateliers amateurs.

Parmi les fidèles des cours du soir, Patrice Dobrzelewski aime "offrir un supplément de vie" à l'usine. Et s'inspire du lieu pour adopter "un jeu dépouillé", comme les murs. "Nous les amateurs, avons toujours tendance à trop en faire", sourit-il.

L'arlésienne dure depuis presque 15 ans pour le Théâtre des quartiers d'Ivry, qui devient le seul Centre dramatique national en banlieue sud de Paris.

Dirigé par Elisabeth Chailloux et Adel Hakim, il cherchait depuis le début des années 2000 un lieu unique où emménager, pour accéder au label CDN - qui désigne un théâtre public, où la programmation et la création sont confiées à des artistes.

Les édifices industriels ne manquaient pas, dans cette ville qui a abrité les entrepôts du Bazar de l'Hôtel de Ville (BHV) et les usines de papier-peint Turquetil. Mais la municipalité communiste a choisi de racheter en 2009 la manufacture des oeillets, qui attire des artistes depuis plus de 20 ans.

Patrice Chéreau y avait mis en scène "Dans la solitude des champs de coton", pièce mythique de Bernard-Marie Koltès, dès 1995. Elle a aussi servi de salle de répétition pour le Théâtre du Châtelet et accueilli le réalisateur Jacques Doillon et le photographe Raymond Depardon.

Les travaux pour en faire un lieu pérenne ont coûté 20 millions d'euros, financés par l'Etat, la région, le département et la ville d'Ivry. Un investissement sur lequel l'actuel maire Philippe Bouyssou n'a "aucun regret".

"Au vu du moment de recul que notre société est en train de vivre, il faut ouvrir des théâtres pour construire une culture commune et un métissage culturel", avance-t-il.

Les deux premières oeuvres à l'affiche en janvier - "Antigone" de Sophocle et "Des Roses et du Jasmin", une création d'Adel Hakim - seront jouées en arabe et surtitrées en français, avec les acteurs du Théâtre national palestinien.

À la une

Sélectionné pour vous