Accueil Actu

Stefan Zweig porté à la scène par Simon McBurney: tout un roman

Le metteur en scène britannique Simon McBurney réussit un nouveau coup de maître en adaptant à la scène l'unique roman de Stefan Zweig, "La Pitié dangereuse", en ouverture du festival d'Automne à Paris.

Paru en 1939, alors que Zweig a dû fuir l'Autriche pour Londres, "La Pitié dangereuse" est le plus long texte qu'il ait écrit, son unique roman achevé.

C'est un récit dans le récit, un roman à strates successives qui nous fait remonter le temps de 1938, date à laquelle Zweig entend l'histoire de la bouche d'un militaire rencontré à Vienne, jusqu'à la veille de la guerre de 14-18.

Sur le vaste plateau du Théâtre des Gémeaux à Sceaux, quelques bureaux, chaises et lampes disséminés comme dans une bibliothèque un peu désuète. Nous sommes en 1913, quelques mois avant l'assassinat de l'Archiduc François-Ferdinand à Sarajevo, en 1914.

Un jeune officier vient dîner au château du bourg où est stationnée sa garnison et commet une gaffe atroce: il invite à danser la fille de ses hôtes, dont il ignore qu'elle est paralysée. De cette bourde naîtront un tourbillon d'événements, un chaos de sentiments que décrit Zweig dans un récit haletant, qui mènera le jeune officier au désastre.

Le texte est porté par sept formidables comédiens de la Schaubühne de Berlin, avec qui McBurney collabore pour la première fois. Tour à tour, leurs voix s'élèvent pour porter le récit dans une polyphonie ensorcelante, une sorte d'oratorio.

Le magicien du son et de l'image qu'est McBurney enchevêtre les voix, les enrichit d'une bande son foisonnante, les double d'images vidéo projetées en fond de scène ou dans une étrange cage de verre, qui devient tour à tour vitrine de musée, chambre de soldat, compartiment d'un train.

Le spectateur est sollicité par un maelström d'images et de sons: impossible de décrocher son attention une minute pendant un spectacle exigeant, qui nécessite pour les non germanophones la lecture des surtitres.

Le roman plonge dans l'âme humaine, décrit la pitié empreinte de lâcheté que ressent le jeune officier vis-à-vis de la jeune handicapée.

Un "sous-texte" éloquent parcourt la pièce: la famille aisée est d'origine juive, les soldats la méprisent, le village la tient à distance. Le jeune officier lui-même ne cède-t-il pas à ses préjugés, à sa condition sociale lorsqu'il la repousse?

La boucherie de la guerre de 14 emportera le jeune homme dans son chaos, mais ne réussira pas à éteindre ses remords. Une autre guerre se profile déjà, qui verra la fin de ce monde, "Le Monde d'hier", comme le dit si bien le titre de l'autobiographie posthume de Zweig.

"La Pitié dangereuse", jusqu'au 24 septembre, Théâtre des Gémeaux à Sceaux.

À la une

Sélectionné pour vous