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L'incroyable destin de SoftKinetic, une société belge d'imagerie rachetée par Sony, dont l'avenir s'annonce radieux

Un senseur (capteur) très pointu permettant d'analyser l'espace et les mouvements, un bon logiciel, une expérience d'une dizaine d'années: cette entreprise bruxelloise est à la pointe dans son domaine, et a toutes les cartes en main pour continuer à briller dans les années à venir.

Lorsqu'il s'agit des nouvelles technologies, de la recherche à la pointe en matière de capteurs d'images ou de mouvements, on a davantage l'habitude de se tourner vers les Etats-Unis ou l'Asie, où coexistent start-up prometteuses et géants de l'électronique.

Il y a quelques exceptions à la règle, heureusement. L'une d'elles s'appelle SoftKinetic. Cette entreprise basée à Bruxelles, créée en 2007, est spécialisée dans l'imagerie 3D et la reconnaissance de mouvements. Elle a progressivement mis au point un capteur révolutionnaire dont les débouchées, vous allez le voir, sont remarquablement dans l'ère du temps.

Rencontre avec Eric Krzeslo, l'un des fondateurs, aujourd'hui en charge du développement et du marketing.


Une belle histoire

"A la base, je suis architecte, et fin des années 1990, je me suis spécialisé dans les images de synthèse, qu'on commençait à utiliser pour représenter des grands projets immobiliers", nous a confié cet ancien étudiant de l'ULB, sorti en 1996.

En 2000, sa destinée se précise: il lance sa propre boite, 72dpi, qui à côté de son activité dans l'imagerie de synthèse et le multimédia, tâtonne sur le nouveau terrain de jeu qu'est l'interaction homme-machine à l'aide de mouvement, quand on doit se passer de clavier et de souris pour commander un ordinateur.

"On a ensuite mis au point un prototype de caméra, et on a trouvé une technique pour intégrer les mouvements de manière naturelle".

Manquant de compétences, la société, aidée par un organisme de soutien bruxellois, s'associe avec un laboratoire de l'ULB durant quelques années pour "développer un projet spécifique au sein de 72dpi".


2007, naissance de SoftKinetic

En 2007, "notre prototype devient valable, on cherche et on trouve des investisseurs". Eric Krzeslo quitte 72dpi, c'est la naissance de SoftKinetic, qui arrive vraiment au bon moment. "Au début, on utilisait des caméras existantes, on ne s'occupait que de la partie logicielle", qui analysait les mouvements pour déclencher toutes sortes d'actions.

"On a eu deux coups de bol. Le premier, c'est que Nintendo a sorti la Wii au même moment. Ce n'était pas encore de la reconnaissance de mouvements du corps (car ce sont les mouvements des manettes qui étaient pris en compte), mais le principe était là", et il a été popularisé à l'échelle mondiale.

"Le deuxième coup de bol, c'est une rencontre avec un labo de la VUB qui travaillait sur un senseur (une sorte de caméra captant les mouvements). On les a aidés à fonder leur spin-off (la création d'une entreprise privée en marge de découvertes scientifiques au sein d'une université, NDLR), qui s'appelait Optrima".

En 2010, le senseur d'Optrima est prêt et SoftKinetic achète la spin-off, intégrant le personnel et la fameuse 'caméra'. L'activité de la société prend un essor considérable, qui est toujours en cours, 6 ans plus tard.


Lancer un ballon de football américain

Ayant les caméras captant les mouvements et la partie logicielle, SoftKinetic est prêt à conquérir un marché complètement nouveau. Mais à quoi sert concrètement la technologie accumulée par la société bruxelloise ?

Commençons par un léger retour en arrière. "Parmi nos premiers clients (avant la fusion avec Optrima, NDLR), il y a eu cette entreprise américaine qui inaugurait un nouveau stade de football américain à Indianapolis". SoftKinetic, en 2008, a intégré sa solution à un jeu vidéo de simulation de football américain.

Devant un écran géant, dans les travées du stade, les visiteurs entraient dans la peau d'un joueur, et devaient faire le mouvement de lancer du ballon. Mouvement capté par les caméras de SoftKinetic, et traduit dans le jeu par un lancer plus ou moins efficace (voir vidéo ci-dessous).

"C'était Kinect avant l'heure", selon Eric Krzeslo. Kinect est le fameux accessoire de la console de jeu de Microsoft, la Xbox. Une sorte de caméra sophistiquée pour le jeu en mouvement (du corps, cette fois, sans manette nécessaire), mais dont le succès est très mitigé.

'Time of flight'

Depuis lors, la technologie de SoftKinetic a évolué. La société s'est concentrée sur l'amélioration et la miniaturisation de son senseur, captant et analysant les mouvements et les objets dans l'espace.

"Les choses ont bien changé depuis notre premier prototype". Le cœur de la technologie de SoftKinetic, le senseur, est désormais un petit carré de quelques millimètres carrés, intégrée dans un ce qu'on pourrait appeler un circuit informatique avec d'autres 'puces'.

"C'est la technologie 'time of flight': on mesure la distance des éléments par un aller-retour de l'information". Pour faire simple: un signal infrarouge est envoyé, et un senseur mesure le temps qu'il faut au signal pour rebondir. Cette durée permet de connaître la distance d'un élément. Le logiciel se charge de transformer ces informations en un genre d'image infrarouge, dont les couleurs sont liées à la distance des éléments. Il permet également de spatialiser une pièce et tous les éléments présents dans la pièce (voir photo ci-dessous).

Cela parait très simple, sur le papier, mais c'est le fruit de longues années de travail au niveau du logiciel comme du matériel.

Et ça ne saute peut-être pas aux yeux, mais cette technologie de captation de la position des éléments dans l'espace, bien maîtrisée par SoftKinetic, peut être intégrée dans d'innombrables domaines liés aux nouvelles technologies. Des domaines dans l'ère du temps, qui plus est.

Un avenir garanti grâce à Sony et... aux smartphones

Si l'histoire de SoftKinetic est belle, son avenir s'annonce en effet radieux. Les fondateurs "osaient à peine imaginer", dans leurs rêves les plus fous, qu'en 2016, au moins quatre (très) grandes tendances des nouvelles technologies au sens large allaient nécessiter des capteurs de mouvements aussi précis que possible.

Evoquons d'abord la photographie sur smartphone, car elle est en partie liée au rachat de SoftKinetic par Sony, l'an dernier. L'arrivée du géant japonais de l'électronique est un élément déterminant de l'histoire de cette jeune société belge.

"Nous avions déjà une belle relation avec Sony, car nous avons collaboré au logiciel de reconnaissance de mouvement de la PlayStation 4", nous a expliqué Eric Krzeslo. "On cherchait à se développer davantage, peut-être en acquérant une autre société. Finalement, la proposition de Sony était la bonne, ce n'est que du bénéfice pour nous".

Les choses n'ont pas vraiment changé pour SoftKinetic, qui arbore fièrement sous son logo la mention 'Sony Group'. "On a un CEO japonais qui est souvent en voyage, tout se passe très bien avec lui, il a une expérience incroyable".

Une "fusion" qui a du sens: "peu de gens le savent, mais Sony est l'un des plus grands fabricants de capteurs photo pour smartphone". On en trouve en effet dans les (nombreux) téléphones de Huawei, notamment.

Il est plus que probable que dans les années à venir, la filiale 'capteur photo' de Sony intègre les technologies de SoftKinetic, qui peuvent être utiles "pour la mise au point", offrant "des effets proches des appareils reflex".

Vu que toutes les marques insistent, un peu plus chaque année, sur l'importance de la photographie dans leur smartphone haut-de-gamme (voir le récent Huawei P9 développé avec Leica), il est très probable qu'on entende bientôt parler d'un capteur à la sauce SoftKinetic.


Le secret de SoftKinetic réside en partie dans le petit carré cuivré, près de la pièce de 20 centimes

De la réalité virtuelle à la voiture autonome

Mais il y a bien d'autres domaines d'activités qui vont contribuer au succès de l'entreprise basée à Ixelles, près de l'ULB. "Un autre focus, pour nous, c'est actuellement la réalité virtuelle". SoftKinetic "travaille avec tous les fabricants de casques". L'idée est terrible: actuellement, la réalité virtuelle est un écran dans un casque, qui affiche un univers virtuel à 360° (il suffit de tourner la tête pour l'explorer). Mais les interactions sont limitées: un pavé tactile et une manette classique de jeu vidéo pour le casque Gear VR de Samsung, des manettes pour le HTC Vive et l'Oculus Rift (bientôt).

"Nous, on peut apporter une expérience unique pour intégrer l'environnement dans l'expérience de réalité virtuelle". Grâce au fameux 'senseur' de SoftKinetic placé vers l'extérieur, l'utilisateur pourrait interagir avec ses propres mains. Cela pourrait largement contribuer à l'amélioration de l'expérience, et au succès du concept. Prometteur.

Il y a également la voiture autonome, dont on n'arrête pas de parler. Que ce soit le fameux mode 'auto-pilot' de la Tesla, des exigences de sécurité de Volvo ou des tests de Google pour une voiture sans chauffeur, tous ces acteurs ont besoin d'un bon capteur des mouvements extérieurs. Par ailleurs, BMW vient d'intégrer dans sa limousine Serie 7 un nouveau moyen de contrôle de l'ordinateur de bord. "En conduisant, il suffit de quelques mouvements du doigt ou de la main pour interagir", notamment pour modifier le volume, passer à la chanson suivante, etc... Un client prestigieux pour SoftKinetic.

Enfin, vous avez certainement remarqué que les 'drones', ces engins volant à quatre (ou plus) hélices contrôlés par un smartphone ou une télécommande et équipés d'une caméra, connaissent un succès grandissant. Des compétitions de courses de drones, dirigés par des pilotes chevronnés équipés parfois de casque de réalité virtuelle, existent déjà. "On pourrait intégrer notre capteur et notre technologie pour l'évitement automatique d'obstacle", ce qui simplifierait grandement le pilotage de ces engins, qui n'est pas à la portée de tout le monde, du moins sans entraînement.

SoftKinetic, c'est une histoire et un succès qu'on aimerait voir plus souvent chez nous. Cela prouve également qu'en Belgique aussi, l'innovation et l'investissement dans les start-up existent.

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