Accueil Actu

Renseignement: le Conseil constitutionnel censure une disposition sur la surveillance des communications

Pas de surveillance massive sans encadrement: le Conseil constitutionnel a censuré vendredi un article de loi sur le renseignement de juin 2015 sur la "surveillance et le contrôle" des communications hertziennes, le jugeant attentatoire à la vie privée.

Les "Sages" ont toutefois reporté "au 31 décembre 2017 la date d'effet de cette déclaration d'inconstitutionnalité", pour laisser aux pouvoirs publics le temps d'élaborer un nouveau texte et ne pas les priver d'un outil de surveillance qui devra dans l'intervalle être encadré par davantage de garanties.

Les transmissions hertziennes peuvent concerner des informations transmises entre un téléphone portable et son antenne relais, entre deux équipements bluetooth, entre une borne wifi et un smartphone, un ordinateur ou une tablette...en clair, elles portent sur des milliards de données.

"C'est une vraie victoire pour les défenseurs des libertés numériques", s'est félicité auprès de l'AFP Me Patrice Spinosi, représentant des trois associations, dont "la Quadrature du Net" à l'origine de la procédure.

"C'est la première censure en QPC de la loi Renseignement qui fait par ailleurs toujours l'objet d'un recours devant la Cour européenne" des droits de l'Homme, a souligné l'avocat, rappelant que le député Jean-Jacques Urvoas, avant de devenir garde des Sceaux, avait lui-même qualifié l'article incriminé de +zone grise+ du droit.

Le gouvernement, via un communiqué de Matignon, a "pris acte de la décision", qu'il s'est engagé à "respecter en tous points", y compris les conditions fixées pour la période allant jusqu’au 31 décembre 2017.

L'exécutif, précise Matignon, "utilisera le délai accordé pour proposer au Parlement les précisions légales demandées, y compris, si nécessaire, pour préserver les capacités de surveillance hertzienne ne présentant pas de caractère attentatoire à la vie privée", notamment celles liées aux activités militaires.

Le Conseil constitutionnel était saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) visant l'article L.811-5 de la loi sur le renseignement, un texte adopté six mois après les attentats jihadistes contre l'hebdomadaire Charlie Hebdo et le magasin Hyper Casher à Paris.

L'article visé prévoit que "les mesures prises par les pouvoirs publics pour assurer, aux seules fins de défense des intérêts nationaux, la surveillance et le contrôle des transmissions empruntant la voie hertzienne ne sont pas soumises aux dispositions du présent livre".

Ces dispositions -qui ne concernaient donc pas l'article sur la communication par voie hertzienne- imposent une autorisation préalable du Premier ministre, un avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), et précisent les conditions d'exploitation, de conservation et de destruction des documents.

- "Un espionnage de masse" -

Pour le Conseil constitutionnel l'article sur la surveillance des communications hertziennes porte en conséquence "une atteinte manifestement disproportionnée au droit au respect de la vie privée et au secret des correspondances".

Dès lors que ces dispositions "permettent aux pouvoirs publics de prendre des mesures de surveillance et de contrôle de toute transmission empruntant la voie hertzienne, sans exclure que puissent être interceptées des communications ou recueillies des données individualisables, elles portent atteinte au droit au respect de la vie privée et au secret des correspondances", ont jugé les "Sages".

D'autant que l'article censuré n'interdisait pas que les transmissions par voie hertzienne "puissent être utilisées à des fins plus larges que la seule mise en œuvre" de la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation.

L'article L.811-5 du code de la sécurité intérieure qui figure dans la loi sur le renseignement reprenait l'article 20 de la loi de juillet 1991 sur les écoutes: un texte passé inaperçu qui ouvre la voie à un "espionnage de masse" selon les associations.

"Il suffit pour appliquer cet article et échapper à tout contrôle que les transmissions surveillées empruntent la voie hertzienne et qu'existe une décision des pouvoirs publics au nom des intérêts de la défense nationale. Intérêts dont l’État peut avoir une conception très large", avait résumé à l'audience Patrick Spinosi.

L'avocat avait rappelé que "c'est sur le fondement de cet article 20" que l'ancien patron de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) Bernard Squarcini s'était appuyé pour affirmer qu'il pouvait initier des écoutes sans en référer, dans l'affaire des fadettes du Monde, et avait été condamné.

À la une

Sélectionné pour vous