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Francis Hallé, ardent défenseur des forêts tropicales primaires

Alternant coups de gueule, pédagogie et traits d'humour, le botaniste Francis Hallé poursuit depuis des décennies un ardent plaidoyer en faveur des forêts tropicales primaires, quasiment anéanties par l'homme en un quart de siècle.

Ce professeur émérite de l'université de Montpellier se décrit comme "un médecin devant un malade en phase terminale". "Je ne vais pas le laisser tomber tant qu'il y a encore un espoir de vie", lance-t-il depuis son bureau où s'empilent des dizaines de livres et rapports sur ses missions à travers le monde - Java, Sumatra, Guyane, Cameroun, Gabon, Pérou, Madagascar...

A 79 ans, Francis Hallé éprouve "un sentiment d'urgence". Car "la destruction des forêts primaires tropicales par les grandes multinationales est beaucoup plus rapide que l'effort de connaissance".

Dès sa naissance à Seine-Port (Seine-et-Marne) dans une fratrie de sept enfants, son père agronome et sa mère qui "adorait les plantes" lui ont "mis cette passion dans la tête".

Sa vocation ne viendra pourtant qu'à l'âge de 20 ans: étudiant à la Sorbonne, il voit se développer sur son balcon une petite plante dont "l'autonomie totale" et "l'altérité fondamentale" le fascinent.

En Côte d'Ivoire, où il vit de 1960 à 1968, Francis Hallé rencontre sa première forêt tropicale primaire, non modifiée par l'homme, celle du Banco, près d'Abidjan. Grâce à une discussion avec un chef Baoulé, il développe ce qui deviendra sa spécialité, "l'architecture des arbres", permettant d'identifier les géants sans avoir accès à leurs fleurs.

A cette époque, se souvient-il, ces forêts "paraissaient invincibles". Le botaniste arpente les sous-bois denses en Afrique, en Amérique, en Asie ou en Mélanésie, dessinant longuement pour "prendre le temps de faire connaissance avec les arbres, objets complexes en trois dimensions qui ont parfois des centaines d'années".

Le Moabi d'Afrique, dont la vaste cime est perchée à 70 mètres, au bout d'un tronc rectiligne, l'a profondément marqué.

-"Addiction au fric" et "Françafrique"--

"Jamais je n'aurais imaginé que ces forêts disparaîtraient sous mes yeux", avoue Francis Hallé. "La prise de conscience de la menace est venue bien plus tard, dans les années 1980". Devant le rugissement des tronçonneuses, le botaniste est d'abord "effrayé", puis se dit "il faut agir".

En 1986, en Guyane, Francis Hallé lance, notamment avec un pilote de montgolfière et un jeune architecte, la grande aventure du "Radeau des cimes". Ce dispositif ingénieux permet enfin aux botanistes de travailler au sommet des arbres, où se trouve la biodiversité la plus riche.

Aujourd'hui, ce grand défenseur du monde végétal se dit "étonné du niveau de conscience du public" lors de ses multiples conférences mais assure que "comme le montre la campagne électorale actuelle, les politiciens s'en foutent".

La déforestation massive vient selon lui d'une "addiction au fric", de politiciens et de multinationales à la démarche "coloniale" qui considèrent les forêts tropicales comme "de simples réservoirs de marchandises". "Aimer les arbres n'implique pas de pratiquer la langue de bois", se plaît à souligner celui qui dénonce régulièrement le rôle de "la Françafrique" dans ce carnage.

Les arbres sont apparus bien avant l'homme et lui "donnent l'air qu'il respire", rappelle inlassablement le botaniste qui trouve l'espèce humaine "d'une stupidité et d'une prétention incroyables".

Conscient de "partir perdant", Francis Hallé continue avec détermination à la fois son travail d'alerte dans les pays riches et de botaniste des tropiques: il sera en juillet au Gabon et prépare une mission en Birmanie pour 2018.

Ce grand lecteur de poésie, qui déteste le jargon scientifique, a été à l'origine et au centre du film de Luc Jacquet "Il était une forêt" (2013). Marié et père de quatre enfants nés sous les tropiques, il a publié en 2016 trois livres, dont un magnifique "Atlas de botanique poétique" et prépare un nouvel ouvrage pour l'été.

En ces temps de pollution planétaire, Francis Hallé cherche à faire passer un message essentiel: "l'arbre permet la vie, il est le meilleur allié de l'homme, sa matière ne vient pas du sol mais du ciel: c'est de l'épuration atmosphérique gratuite".

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