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L'intervention du juge en hôpital psy: c'est une "protection"

Plusieurs fois par mois, la juge des libertés et de la détention (JLD) Michelle Jouhaud quitte le tribunal de Versailles pour des audiences en hôpital psychiatrique. Chargée de contrôler les procédures d'hospitalisation sous contrainte, elle voit sa mission comme une "protection".

Depuis 2011, les hospitalisations sous contrainte en psychiatrie sont contrôlées par un juge dans les jours suivant l'internement: cette mesure, d'abord contestée, passe aujourd'hui pour nécessaire pour la protection de malades vulnérables.

Les JLD ont plusieurs compétences, comme celle de placer en détention provisoire. Mais à l'hôpital, Michelle Jouhaud abandonne volontiers une partie de ce titre qui "peut faire peur".

"J'explique aux malades que je suis juge des libertés. Nous venons dans les hôpitaux pour les protéger", explique la vice-présidente du tribunal de grande instance de Versailles, qui considère sa mission comme "indispensable". La présence d'un avocat est aussi importante, dit-elle, car il explique ses droits au malade.

Le travail de ces juges en hôpital psy est au coeur du documentaire de Raymond Depardon actuellement en salles, "12 Jours": le cinéaste a filmé les échanges souvent poignants entre juges et internés et dont l'issue s'achève irrémédiablement par la décision de maintenir l'internement.

Douze jours, c'est la période au cours de laquelle les patients hospitalisés sous contrainte doivent être présentés à un JLD. Le rôle du juge consiste à contrôler la régularité de la procédure et vérifier que la mesure de contrainte est bien proportionnée à l'état mental de la personne.

Cela fait suite à une décision du Conseil constitutionnel: auparavant, la psychiatrie était "le seul domaine où une personne pouvait être privée de liberté sans intervention d'un juge", souligne Adeline Hazan, contrôleur général des lieux de privation de liberté.

L'hospitalisation est le plus souvent demandée par des proches impuissants face à la maladie destructrice, parfois aussi par le préfet pour préserver l'ordre public. En 2016, près de 80.000 personnes ont été hospitalisées sans leur consentement, une hausse de 5% par rapport à 2012.

Les trois JLD du tribunal de Versailles couvrent quatre audiences par semaine dans deux hôpitaux. "C'est éprouvant émotionnellement: il y a beaucoup d’incompréhension chez les malades et de souffrance pour leurs proches", confie Michelle Jouhaud.

A l'hôpital de Poissy/Saint-Germain-en-Laye, une petite salle est réservée pour les audiences: le malade s’assoit à côté de son avocat et face au juge, un contexte moins intimidant que le tribunal.

- Manque de moyens -

Mais cette intervention du JLD est-elle vraiment nécessaire? "Vous servez à quoi?", interroge d'ailleurs un malade dans "12 jours".

Une magistrate qui a requis l'anonymat souligne d'ailleurs que les juges n'ont "aucune compétence médicale".

"C'est difficile de trouver sa place de juge dans une matière qu'on ne maîtrise pas". Et les psychiatres n'hospitalisent pas sans raison: "On n'est pas dans l'Union soviétique des années 70!", relève-t-elle.

Pour Adeline Hazan, cette opinion était assez partagée chez les magistrats en 2011. "Mais c'est de moins en moins le cas. (...) C'est une évidence que c'est positif. Il ne s'agit pas de faire un diagnostic mais c'est une garantie importante: les psychiatres doivent fournir des certificats motivés".

La JLD prête aussi une attention particulière aux placements en chambre de soins intensifs, l'équivalent de l'isolement en prison. "Le médecin doit justifier la nécessité de cette mesure qui doit rester exceptionnelle selon la loi".

Pour Adeline Hazan, le JLD est d'autant plus important que le manque de moyens de la psychiatrie "pèse sur les conditions de prise en charge". "Le +placement à l'isolement+, une pratique en augmentation, est souvent une conséquence du manque d'effectifs".

Environ 9% des dossiers traités par les JLD font l'objet de mainlevées, principalement pour des irrégularités de procédure. Les patients restent souvent à l'hôpital, qui régularise la situation.

Les levées d'hospitalisation sous contrainte sont peu nombreuses, reconnaît Michelle Jouhaud.

Elle se souvient du cas de deux soeurs, des octogénaires marginales que leurs voisins ne supportaient plus. "Elles avaient été hospitalisées manu militari, mais les certificats médicaux ne parlaient pas de danger pour elles ou pour les tiers", explique-t-elle. Elle les a donc remises en liberté.

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