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Quand la maltraitance animale vient de la détresse humaine

La maltraitance sur des animaux dénoncée dans certains élevages est souvent issue d'une succession de crises qui marque l'aboutissement d'une spirale de détresse chez des éleveurs au bout du rouleau.

"Certains ne s'occupent plus de leurs animaux, ni d'eux mêmes. Certains n'ouvrent plus leur courrier depuis deux ans... on n'imagine pas, on découvre des gens qui ont abandonné toute vie normale".

Lors d'un entretien récent au salon de l'Agriculture à Paris, Pascal Cormery, président de la sécurité sociale du monde agricole, la MSA (Mutualité Sociale Agricole), a décrit à l'AFP l'isolement, la solitude et la honte dans laquelle s'enfoncent certains éleveurs brisés par la crise et parfois d'autres drames personnels.

Les images choc d'un élevage de porcs breton apparemment en plein abandon, diffusées jeudi par l'association L214 qui milite contre toute forme d'élevage d'animaux, ont montré au moins autant l'état de détresse de l'éleveur que la maltraitance animale.

"En regardant les images, on voit tout de suite que c'est un élevage qui a des problèmes, l'état d'insalubrité et les toiles d'araignées montrent qu'il n'y a pas de passage d'homme depuis longtemps", a commenté pour l'AFP Gilles Pecastaing, éleveur de porc dans la région de Bordeaux, et secrétaire-général de la Fédération Nationale Porcine (FNP). "Dans l'élevage comme partout, il y a des gens qui lâchent l'affaire, car ils sont en dépression", a-t-il dit.

- Animaux en souffrance, vies brisées -

Au fil de l'évolution de la crise et depuis la chute des prix du lait en 2015, les journaux relatent régulièrement des faits divers chez des éleveurs laitiers. Quelques lignes. Des animaux en souffrance. Des vies brisées.

Dans un village du Massif Central, c'est le maire qui avait demandé l'hospitalisation d'office en psychiatrie d'un éleveur épuisé. L'agriculteur n'avait plus la force. Des cadavres de vaches étaient abandonnés. Les autres n'étaient plus tenues et vagabondaient sur les routes, obligeant la gendarmerie à intervenir.

Pendant son séjour à l'hôpital, le voisinage est venu aider. Les locaux ont été nettoyés, les vaches nourries, requinquées. Mais l'exploitant, confronté à d'autres problèmes familiaux, n'est pas parvenu à digérer son échec, enlisé dans le ressentiment, et la solitude. Son troupeau a recommencé à vagabonder.

Au bout d'un an, ses 70 vaches laitières lui ont été retirées. Elles sont montées dans un camion garé sur la place du village. Beaucoup étaient maigres et malades. Triste fin d'une carrière d'éleveur, à qui la justice a désormais interdit d'élever des animaux.

Le même drame ou presque est en train de se nouer dans une ferme de Normandie, où un photographe de l'AFP a pu capturer des clichés d'animaux morts dans la cour, au su des autorités vétérinaires. L'agriculteur, qui a requis l'anonymat, se plaint d'être seul face aux prix bas depuis des années. "C'est du chacun pour soi", a-t-il confié à l'AFP, en estimant que certains de ses voisins "attendent de reprendre les terres".

- Vétérinaires au premier rang -

Au premier rang de tels drames, on trouve souvent les vétérinaires. "Nous essayons de leur faire comprendre qu'il faut arrêter l'activité, vendre leurs bêtes avant qu'elles aient perdu toute valeur", explique Bertrand Guin, vétérinaire dans la région de Charolles. "Mais c'est un problème hyper complexe à gérer", car il faut s'occuper de la santé physique des animaux et mentale de leur propriétaire.

"Les animaux meurent de faim, de soif, de misère physiologique, il m'est arrivé de tomber sur une ferme où 30 vaches étaient mortes sans que quelqu'un appelle l'équarrissage", raconte-t-il à l'AFP. "Le propriétaire était en burn-out, sa femme l'avait quitté avec les enfants, il n'était plus en état psychologique de faire face".

La MSA, qui tente de prévenir les suicides d'agriculteurs, a mis en place des cellules d'écoute, et des cellules de crise autour d'éleveurs en difficulté, en reliant services vétérinaires, services sociaux, et de santé.

Quant aux animaux, lorsque les services vétérinaires et la justice décident de les retirer, ils sont alors "placés" en pension dans des associations de défense des animaux.

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