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Chronique d'un massacre annoncé dans le far-west brésilien

Le massacre de neuf paysans brésiliens dans une zone isolée de l'État de Mato Grosso (ouest) est le dernier épisode sanglant de la violence chronique qui rythme les conflits ruraux dans un pays où les grands propriétaires terriens font encore la loi.

Les corps sauvagement mutilés ont été enterrés samedi, mais le carnage est passé presque inaperçu au Brésil, où près de 60.000 meurtres sont commis chaque année.

Les paysans ont été tués jeudi dans le campement de Gleba Taquaruçu do Norte. Les premières informations ont tardé à arriver, tant cette zone est isolée du monde, sans route goudronnée ni signal de téléphone mobile.

La police elle-même a mis plusieurs heures à se rendre sur place depuis la ville la plus proche, Colniza, située à plus de 200 km de là.

Les journalistes locaux ont eu encore plus de mal à y arriver, mais le peu qui y sont parvenus ont témoigné des scènes insoutenables.

Des photographies que le journal Popular de Colniza a fait parvenir à l'AFP montrent les victimes éparpillées dans le campement, toutes tuées par balles ou à l'arme blanche, selon la police.

L'une d'entre elles a été retrouvée face contre terre, une machette plantée dans le cou.

Le t-shirt bleu teinté de sang, un homme de forte stature avait les mains attachés derrière la tête. Un autre était étendu au sol près d'une moto, laissant deviner qu'il a pu être tué alors qu'il tentait de s'échapper.

Des vidéos des enterrements ont montré les neuf cercueils transportés par un camion, avant d'être déposés dans les tombes à l'aide de cordes, devant plusieurs dizaines de témoins.

- Puissant lobby -

Cinq jours après le massacre, la police n'a toujours pas annoncé la moindre piste et le sujet n'est pratiquement plus abordé dans les médias brésiliens.

Pour les associations de défense des travailleurs ruraux, les problèmes de logistique ou l'éloignement ont bon dos.

L'État de Mato Grosso est un des hauts lieux de l'agro-business brésilien, avec un puissant lobby accusé depuis des années de s'approprier des terres illégalement et de mener une politique de déforestation sauvage.

Avec le soutien de politiciens de haut rang, les gros propriétaires terriens font la loi dans des domaines qui s'étendent sur des kilomètres, ne pouvant être parcourus de bout en bout qu'en avion.

Les paysans qui travaillent dans des petits lopins de terre sont des obstacles à l'expansion de ce business. Un grand nombre d'entre eux le paient de leur vie, comme les neuf victimes de ce massacre, dénoncent les militants associatifs.

D'après les données de la Commission Pastorale de la Terre (CPT), liée à l'Église catholique, 61 personnes ont été assassinées lors de conflits ruraux en 2016, l'année la plus meurtrière depuis 2003.

- 'Inévitable' -

"Le massacre a été perpétré avec une cruauté inimaginable", ont dénoncé mardi plusieurs associations religieuses dans une communiqué commun.

D'après ce texte, "il ne s'agit pas d'un incident isolé", mais du dernier chapitre d'une longue histoire qui a débuté en 2004, avec l'expulsion de 185 familles des terres qu'elles exploitaient.

Les tensions ont perduré depuis, avec de nombreuses accusations de meurtre ou de torture, mais des centaines de petits paysans continuent d'y travailler la terre, malgré les menaces.

Pour Antonio Neto, de l'ONG Justiça Global, le massacre de jeudi dernier était "inévitable".

"Les paysans vont à l'encontre des intérêts de ceux qui veulent s'accaparer ces petits lopins de terre pour augmenter leur pouvoir et planter du soja pour l'exportation, voire exploiter le bois de la forêt amazonienne", déplore-t-il.

"La plupart du temps, la police n'ouvre même pas d'enquête. Avec cette impunité, ils se sentent intouchables et continuent à perpétrer ce genre de crime", conclut Antonio Neto.

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