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Englué dans des affaires, Airbus espère éviter le pire après s'être auto-dénoncé

En annonçant vendredi aux salariés qu'Airbus risquait d'importantes pénalités pour violations présumées des lois anticorruption, son patron Tom Enders a dévoilé la stratégie juridique du champion européen qui vise à le mettre à l'abri d'une éventuelle condamnation pénale.

Le groupe est sous le coup d'enquêtes du Parquet national financier (PNF) en France, et du Serious fraud office (SFO) en Grande-Bretagne pour des irrégularités sur des transactions, faits qu'il avait lui-même dénoncés en 2016.

Il est visé par deux autres enquêtes en Autriche et en Allemagne autour de la vente d'avions de combat de type Eurofighter à Vienne, mais de l'aveu même du parquet général de Munich, la justice allemande dispose "de peu de preuves de corruption". Une décision de renvoi ou non doit être prise sous peu en Allemagne.

En Autriche, Tom Enders figure parmi les personnes visées par l'enquête sur la vente des 18 avions de combat Eurofighter en 2003. A l'époque M. Enders dirigeait la branche défense du groupe Airbus.

Approuvée par le comité exécutif et le conseil d'administration du groupe, la décision de se dénoncer auprès des autorités judiciaires britanniques et françaises vise à mettre le groupe à l'abri d'éventuelles poursuites, notamment américaines, grâce aux dispositions contenues dans la loi britannique (UK Bribery Act), et française (loi Sapin II), explique un proche du dossier.

"Pour se protéger, il ne faut pas se cacher ou éviter de faire des enquêtes mais au contraire se mettre en relation avec les agences" gouvernementales, indique-t-il.

"Il y a un certain nombre de protections dans ces décisions", relève un spécialiste du droit international des affaires, sous couvert de l'anonymat. "Cette coopération offre la possibilité de négocier une convention judiciaire (en France) et un +differed prosecution agreement+ en Grande-Bretagne, comme ce fut le cas pour Rolls-Royce."

Le motoriste britannique a été condamné début 2017 à une amende de 763 millions d'euros aux autorités judiciaires britanniques, américaines et brésiliennes afin de solder une affaire de corruption à l'étranger.

Il avait lui-même dénoncé les faits au SFO fin 2012 afin d'éviter que d'autres pays ne lancent leurs propres investigations - avec le risque d'être condamné au pénal - et pour mettre fin à toute poursuite une fois l'amende payée.

- perte d'accès aux marchés publics -

Or, une telle condamnation implique la perte de l'accès aux marchés publics et aux appels d'offres dans la plupart des pays, et notamment ceux de la défense ou de l'espace.

"Rolls-Royce a cherché à coopérer avec le SFO pas uniquement pour mettre fin à une affaire difficile, mais aussi pour se protéger contre d'éventuelles enquêtes du côté américain", explique l'expert juridique.

Dans le cas d'Airbus, l'affaire a débuté en 2013 lorsque le groupe a découvert, après la mise en place de sa nouvelle gouvernance qu'"un certain nombre de transactions effectuées" par une entité interne, baptisée Strategy and Marketing Organization (SMO), n'étaient "pas en ligne avec les règles au sein de l'entreprise", explique une autre source proche du dossier.

Il a notamment trouvé des contradictions dans des montants de commissions de consultants et établi fin 2015 que les agents commerciaux dans certaines transactions n'avaient pas été identifiées auprès des agences d'aide à l'export, Coface en France, UK Export Finance et Euler Hermes en Allemagne.

Après qu'Airbus eut dénoncé début 2016 ces faits, le SFO et le PNF ont ouvert leurs propres enquêtes auxquelles coopère le groupe.

Airbus espère ainsi, en vertu du principe "ne bis in idem" issu du droit romain, éviter d'être poursuivi une seconde fois pour les mêmes faits. Un risque d'autant plus grand que les transactions dans l'aéronautique sont effectuées en dollars, une condition suffisante aux yeux des autorités américaines pour ouvrir leurs propres enquêtes.

De plus, une telle procédure basée sur l'auto-dénonciation permet d'espérer une réduction de 50% du montant de l'amende, selon l'expert en droit.

En Bourse, le titre Airbus cédait 0,97% à 78,67 euros mardi après-midi.

L'affaire est suivie de près à Paris et à Berlin en raison de l'intérêt stratégique du géant de l'aéronautique pour les deux capitales. Et selon un connaisseur du dossier, "il n'y a aucun signal aujourd'hui qui va dans le sens d'un changement de direction" dans la stratégie de défense du groupe.

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