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En Allemagne, l'accord de libre-échange UE-USA déchaîne les passions

TTIP: quatre lettres qui laissent indifférents la plupart des Européens, mais déchaînent les passions en Allemagne où plusieurs milliers de personnes sont descendues dans la rue samedi contre le futur traité transatlantique de libre-échange.

En Europe seuls les Autrichiens et les Luxembourgeois manifestent un intérêt aussi marqué, et une opposition aussi forte, à ce vaste accord pour lequel une neuvième série de discussions, depuis l'an dernier, démarre lundi à New York.

Selon un sondage YouGov publié fin mars, pour 43% des Allemands l'accord, soutenu par le gouvernement, serait "mauvais" pour leur pays, contre 30% qui l'estiment "bon". Aucun autre des sept pays sondés ne compte autant de sceptiques.

Les réserves se focalisent sur les normes sanitaires et de sécurité, notamment alimentaires, et les mécanismes d'arbitrage international des différends économiques.

Pour Peter Sparding, chercheur du German Marshall Fund, le débat en Allemagne, première économie européenne "a atteint une telle ampleur que les responsables des deux côtés doivent envisager le risque d'un échec ou d'une sérieuse réduction de la voilure" de l'accord.

- Un million de signatures -

Dans beaucoup de pays européens, ONG et syndicats font campagne contre le TTIP, acronyme désignant le projet (pour Transatlantic Trade and Investment Partnership, également appelé Trans-Atlantic Free Trade Agreement ou Tafta). En Allemagne l'écho de cette campagne, lancée dès 2013, est énorme. Sur les plus de 700 manifestations prévues samedi à travers le monde pour protester contre les accords de libre-échange, plus de 200 y ont eu lieu avec notamment un cortège d'environ 23.000 personnes à Munich, selon Attac Allemagne.

Et sur les 1,7 million de signatures collectées en Europe par le collectif européen "Stop TTIP", environ un million l'ont été en Allemagne, près de dix fois plus qu'en France et 50 fois plus qu'en Italie.

Pour Maritta Strasser, directrice de campagne chez Campact, l'une des ONG allemandes derrière "Stop TTIP", la singularité allemande tient à ce que la mobilisation a commencé tôt, sous l'impulsion de quelques personnalités très engagées, mais elle gagne le reste de l'Europe. "Plus les gens en savent, plus il y a de rejet", veut-elle croire.

Tanja Börzel, professeur de sciences politiques à l'Université Libre de Berlin, évoque "des raisons ancrées dans notre culture politique", à savoir "un anti-américanisme latent depuis longtemps", qui se nourrit d'un rejet de la mondialisation, d'un "capitalisme de casino" débridé dont les Etats-Unis seraient le porte-voix.

Les révélations ces dernières années sur les pratiques d'espionnage des services de renseignement américains, qui ont mis sur écoute jusqu'au portable d'Angela Merkel, ont amplifié cette défiance, poursuit-elle.

- Pas d'autres soucis -

La gauche est particulièrement critique du partenaire américain, y compris tout un pan du parti social-démocrate SPD, qui gouverne avec les conservateurs d'Angela Merkel. Sa direction doit donc défendre un accord que beaucoup de militants rejettent, un dilemme mis en avant par M. Sparding.

Le mouvement anti-TTIP a trouvé des relais efficaces dans un réseau puissant d’Églises, syndicats et associations, aguerris à la mobilisation, tantôt contre le nucléaire tantôt contre la guerre en Irak. La force du débat a en outre créé une dynamique où "tout le monde a l'impression qu'il faut qu'il prenne position", détaille M. Sparding depuis Washington.

Sans doute parce que l'Allemagne, fortement exportatrice, paraît prédestinée à tirer profit de l'accord, les avocats de TTIP - les milieux d'affaires notamment - n'ont peut-être pas anticipé la contestation, supputent certains.

Le gouvernement et les fédérations économiques mettent maintenant les bouchées doubles, avec des prévisions chiffrées de créations d'emplois et d'effets sur la croissance. Sans grande chance de faire bouger les lignes, tant les positions sont figées, relève M. Sparding.

La plupart des observateurs se retrouvent sur un point: la vigueur du débat doit beaucoup au fait que "cela va bien pour l'Allemagne en ce moment", explique Mme Börzel. L'économie crée des emplois, les revenus augmentent, les Allemands ont plus le loisir de se pencher sur des débats de société que leurs voisins français par exemple qui ont "bien d'autres problèmes à l'heure actuelle", relève l'universitaire.

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