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L'Adriatique à l'heure de vérité dans le conflit slovéno-croate

La Baie de Piran sur l'Adriatique, ses promenades dignes de la Côte d'Azur, ses pêcheurs artisanaux... et son conflit territorial, empoisonnant les relations entre la Slovénie et la Croatie depuis un quart de siècle, qui doit être arbitré jeudi.

Dans ce décor de carte postale se joue un des principaux contentieux frontaliers entre pays de l'Union européenne. La Slovénie revendique l'intégralité de la baie, la Croatie la moitié.

Datant de l'indépendance de ces deux anciennes républiques yougoslaves en 1991, le différend doit être tranché jeudi par la Cour permanente d'arbitrage de La Haye, au terme de huit ans de procédure.

L'enjeu dépasse largement les quelques kilomètres carrés de cette baie au demeurant peu poissonneuse, rappelle pour l'AFP Verica Trstenjak, professeure slovène de droit à l'université de Vienne.

"Il en va de la possibilité pour la Slovénie d'avoir un accès souverain aux eaux internationales. C'est un sujet très sensible pour le pays, qui n'a que très peu de côtes (46 km, ndlr)", souligne la juriste.

Alors que la Slovénie retient son souffle, la Croatie voisine affecte l'indifférence, ayant d'ores et déjà annoncé qu'elle ne reconnaîtrait pas l'arbitrage. Malgré le risque d'escalade des tensions le cas échéant.

Sous la pression de Ljubljana, Zagreb avait accepté en 2009 le principe d'un arbitrage international sur ses différends frontaliers avec la Slovénie, qui en échange avait levé son veto à l'entrée du pays dans l'UE.

Mais la Croatie a annoncé se retirer de la procédure en 2015, à la suite d'un scandale impliquant un juge slovène du tribunal. La Cour d'arbitrage a toutefois souligné juger ce retrait nul et non avenu.

Le Premier ministre croate, Andrej Plenkovic, n'en a pas moins rappelé il y a quelques jours que la position de son pays n'avait pas changé. "Nous avons très clairement dit que nous nous retirions de la procédure et que la Croatie ne serait en aucune façon liée à la décision de la Cour", a-t-il martelé.

- 'Pas de concession' -

Daniele Kolec, un pêcheur d'Umag, du côté croate de la baie, se dit assuré qu'"il n'y aura pas de concession" de la part de son gouvernement.

Quelques kilomètres plus au nord, Zdravko Novogradec, un représentant des 80 pêcheurs slovènes habitués à louvoyer le long de la frontière maritime controversée, confie de son côté ne pas attendre grand chose de l'arbitrage, même si celui-ci devait étendre quelque peu les eaux de son pays.

"Cela ne changera rien car de toute façon les Croates le rejetteront", soupire-t-il. Avant de relever que de toute façon, sa profession est menacée par l'épuisement de la ressource halieutique: "il y en a tout au plus pour 100 euros", dit-il en désignant sa pêche du jour. "Nous courons à notre ruine."

L'issue de l'arbitrage reste au demeurant ouverte, souligne le juriste français Joseph Krulic, spécialiste de l'ex-Yougoslavie.

"Si l'on suit la lettre du traité de la Jamaïque sur le droit de la Mer, la Croatie est dans son droit", rappelle-t-il.

"Mais les juges pourraient opter pour un compromis qui accorderait à la Slovénie un étroit corridor lui offrant un accès souverain aux eaux internationales", estime M. Krulic.

En tout état de cause, l'enjeu est "essentiellement symbolique", l'accès de la Slovénie à la haute mer étant "garanti" par le droit international, même si ce n'est pas en eaux territoriales, rappelle l'expert.

Selon les observateurs, un refus de la Croatie de se plier à un arbitrage qui lui serait défavorable serait du plus mauvais effet au sein de l'Union européenne et pourrait s'avérer contre-productif, la Slovénie représentant sa principale porte d'entrée dans l'espace Schengen.

"La Croatie s'exposerait à une possible procédure devant la Cour internationale de justice et se mettrait à tout le moins dans une position difficile vis-à-vis de l'UE", souligne M. Krulic.

Le quotidien croate Novi List lui-même le reconnaît: "en refusant de reconnaître l'arbitrage, la Croatie se trouvera dans une situation tout à fait nouvelle". La Slovénie "lui compliquera la vie à tous les échelons, et les alliés de celle-ci en Europe et dans le monde feront pression sur la Croatie".

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