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La Grande-Bretagne est aussi le royaume des banques.... alimentaires

Son sac rempli de pâtes, poires au sirop et bœuf en boîte, David Kirk, 54 ans, quitte la banque alimentaire de Camborne, dans les Cornouailles. A six semaines des élections législatives, l'aide alimentaire explose au Royaume-Uni.

David charge les victuailles dans le coffre de sa voiture. C'est la sixième fois en seulement quelques semaines qu'il vient se ravitailler. "Ça aide, vraiment", dit ce grand gaillard aux bras tatoués. "Mon épouse souffre d'un cancer et je suis moi-même dans l'incapacité de travailler."

La banque alimentaire se trouve dans l'arrière-salle d'une église de Camborne, commune des Cornouailles. Cette terre rurale du sud-ouest de l'Angleterre est surtout connue pour ses plages, ses maisons secondaires. Moins pour être l'une des régions les plus pauvres du pays, avec un PIB par habitant cinq fois inférieur à celui de Londres, selon des statistiques de l'Union européenne.

Devant un piano couvert d'un plaid et de vieilles bibles, une poignée de volontaires remplissent des sacs de boîtes de légumes, thé, riz et autres produits de première nécessité.

Nicola Bacca, 32 ans, est venue avec sa fille, qui se jette sur un paquet de chips. "On a coupé mes prestations sociales", grimace cette mère de quatre enfants, invalide, en expliquant que cette aide lui permettra de ne pas dépendre du supermarché local, "bien trop cher".

Il y a aussi Brian Farrir, 68 ans, dont la modeste retraite n'est pas toujours suffisante. Ou Martin Dickson, 42 ans, invalide, lui aussi. Et ainsi de suite. La banque alimentaire de Camborne a ouvert ses portes en 2009, dans la foulée de la crise économique, et ne désemplit pas. Bien au contraire, raconte son fondateur, Don Gardner, 70 ans.

- 2.000 repas par semaine -

"Le premier mois, nous avions servi 150 repas", se souvient-il. "Aujourd'hui, nous en sommes à 2.000. Par semaine. Les Cornouailles, c'est toujours la première région à entrer en récession, et la dernière à en sortir."

Ancienne capitale de l'étain, Camborne ne s'est jamais vraiment remis de la fermeture de ses mines, dont les vestiges sont encore visibles ci et là, en partie recouverts par la végétation.

Camborne n'a rien d'une exception: le pays compte plus de 850 banques alimentaires et il s'en ouvre chaque année un peu plus, selon un rapport d'enquête parlementaire.

Sur la période 2013-14, l'organisation Trussell Trust, qui gère plus de 400 banques alimentaires, a servi des repas à 913.000 personnes, contre seulement 61.500 en 2010-11.

"La situation est préoccupante", dit à l'AFP Alison Inglis-Jones, sa porte-parole. "Les gens viennent dans les banques alimentaires dans tout le pays", Londres, l'opulente capitale britannique, y compris, note-t-elle.

Selon le rapport parlementaire, les raisons sont d'abord à chercher du côté de la hausse des prix de l'alimentation (+47% entre 2003 et 2013) et du logement (+30,4%), non compensée par celle des salaires. Mais aussi de la politique du gouvernement conservateur de David Cameron, qui a durci les conditions d'accès aux prestations sociales.

- 'Aux oubliettes' -

"On est passé d'une culture de l'anti-pauvreté, à celle de l'anti-pauvres", affirment Joanna Mack et Stewart Lansley, auteurs d'un essai sur "l'émergence d'une pauvreté de masse" au Royaume-Uni.

"Ce durcissement envers les démunis a conduit à un désengagement de l'Etat et justifié les coupes dans les prestations sociales", disent-ils à l'AFP.

Aux accusations, David Cameron, en campagne pour un deuxième mandat, oppose son bilan: un chômage à moins de 6%, une croissance à 2,6% (2014). "Nous mettons les gens au travail, nous les sortons de la pauvreté", répète-t-il à l'envi.

Le chef de l'opposition travailliste Ed Miliband dénonce lui une politique d'austérité qui "accentue les inégalités", et promet d'aider les bas salaires s'il remporte le scrutin du 7 mai.

Mais dans les Cornouailles, ces discours électoraux sonnent creux. "Personne ne s'intéresse à nous, on est aux oubliettes", lâche Don Gardner en sillonnant les rues grises de l'agglomération de Camborne, au volant d'un vieux Renault Scenic fatigué.

"Fermé", dit-il en désignant un local commercial vide. "Celle-là aussi, fermée. Et là encore, fermée", ajoute-t-il en passant devant deux boutiques qui ont dû baisser le rideau.

"Nous étions allongés dans le cercueil. La crise économique l'a refermé avec des clous."

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