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Le désamiantage sans fin de la "vallée de la mort", en Normandie

Dans le berceau industriel de l'amiante en France, une vallée normande jadis surnommée "vallée de la mort", quelque 3.000 tonnes de déchets amiantés sont actuellement en cours d'évacuation, mais ses habitants sont loin d'en avoir fini avec la fibre cancérogène interdite en 1996.

"Quand j'ai vu les camions enfin arriver en mai, les larmes me sont montées aux yeux. J'ai pensé à mon mari, décédé en 2008", confie Odette Goulet, 74 ans, dont la maison, à Caligny (Orne), est à quelques mètres à peine de cette usine de matériaux isolants en amiante, fermée en 1957. Le toit de l'usine, éventré au fil du temps, sème depuis des années sur le hameau ses fibres mortelles à chaque tempête, expliquent plusieurs élus locaux.

"Un jour, mon mari en taillant la haie a trouvé ce nid en fibres d'amiante. Il m'a dit de le garder jusqu'à temps qu'on obtienne la destruction de l'usine", poursuit Mme Goulet qui a élevé ses cinq enfants près de l'usine à partir de 1972.

M. Goulet avait une maladie professionnelle liée à l'amiante mais son décès n'est officiellement pas dû à la fibre. Les maladies de l'amiante mettent plusieurs décennies à se déclarer.

Près de 3.000 tonnes de gravats amiantés doivent être retirés du site sous la surveillance, depuis le début des travaux en mai, de neuf pompes contrôlant la qualité de l'air, selon Avenir Déconstruction, la société chargée de l'opération. Une cinquantaine de camions quittent Caligny chaque semaine.

Deux brumisateurs tournent toute la journée pour éviter que ne s'envolent des fibres et les déchets sont bâchés la nuit.

Récemment encore "on voyait (de la rue) les plaques d'amiante qui pendaient au plafond de l'usine", raconte Jean-Claude Barbé, 69 ans, vice-président de l'association locale des victimes de l'amiante (aldeva).

L'opération, évaluée 1,2 million d'euros et financée à 55% par l'Etat et à 45% par l'équipementier automobile Valeo, dernier exploitant de l'usine, doit s'achever fin juillet.

Mais le site sera alors loin d'être dépollué. Car le sol est truffé de l'amiante qui y a été stockée pendant des années et contamine encore le Noireau. Cette rivière qui passe actuellement le long de l'usine est un des points de captage d'eau de la communauté de communes de Flers.

- "Une épée de Damoclès sur la tête" -

"L'amiante n'est illégale que dans l'air et on n'en retrouve - parfois - que dans les eaux brutes, pas au robinet. Mais bon, on préfèrerait ne pas en avoir du tout", explique à l'AFP le député apparenté PS et président de la communauté de communes de Flers Yves Goasdoué. Pendant les travaux de désamiantage, la collectivité a suspendu ses captages.

L’État "envisage (donc) de redonner au Noireau, qui avait été détourné vers l'usine, son cours original", afin qu'il ne passe plus par le terrain amianté, indique le sous-préfet d'Argentan Pascal Vion. Cette seconde phase de travaux serait financée à 80% par l’État et à 20% par Valéo.

Mais elle nécessite l'accord d'une quinzaine de propriétaires.

Dans cette vallée de la Vère et du Noireau où près de 2.500 personnes travaillaient l'amiante dans les années 70, "on vit avec une épée de Damoclès sur la tête", souligne M. Barbé. La fibre qui recouvrait les sapins comme de la neige dans les années 50 y a fait des milliers de morts et en fait encore plusieurs dizaines chaque année, selon l'Aldeva.

La vallée avait même été rebaptisée "vallée de la mort" à une époque où s'y produisaient de nombreux décès, alors inexpliqués.

A quelques kilomètres de Caligny, à Condé-sur-Noireau (Calvados), c'est l'usine où M. Goulet a travaillé qui vient de voir arriver les désamianteurs.

Son dernier propriétaire, Honeywell, l'a fermée en juin 2013, avant que l’État ne reconnaisse que les salariés y avaient été exposés à l'amiante jusqu'en 1999. Selon une source industrielle proche du dossier, un expert vient d'évaluer à 250 tonnes la quantité de déchets amiantés à retirer de cette usine de 30.000 m2.

"Depuis toujours Honeywell soutient que ses salariés ne sont pas exposés à l'amiante et comme par hasard maintenant qu'on déconstruit, on en trouve. Le sujet reste devant nous", estime le sénateur Les Républicains, maire de Condé-sur-Noireau, Pascal Allizard. Selon lui, Honeywell a annoncé en 2013 provisionner une quinzaine de millions d'euros pour la dépollution et la déconstruction du site. Interrogée par l'AFP, la société maintient ne jamais avoir mis en danger ses salariés.

Les travaux doivent durer un an, hors décontamination du sol. L'air sera, ici aussi, surveillé de près dans les environs du site.

Mais du chapelet d'usines dont Condé a été le dernier maillon à fermer, avec 323 licenciements à la clé, il reste encore de nombreuses traces.

Plusieurs sites demeurent pollués dans cette vallée boisée de Suisse normande aux allures de carte postale, selon une source industrielle et des élus. "Sans parler des décharges sauvages. Hier encore j'en ai vu une. J'ai fait évacuer ça", explique M. Barbé.

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