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Le modèle économique de Canal+ et la stratégie de Bolloré en question après la perte de la Premier League

La perte inattendue des droits TV du championnat d'Angleterre de football est non seulement un coup très dur pour Canal+, au modèle économique de plus en plus vacillant, mais aussi pour Vincent Bolloré, patron de sa maison mère Vivendi, dont la stratégie ambitieuse est battue en brèche.

L'homme d'affaires breton avait pourtant indiqué mi-novembre devant les salariés de Canal+ et de Vivendi qu'il serait "plus agressif" dans l'acquisition de droits sportifs.

Mais personne dans l'état-major du groupe ne semble avoir anticipé l'appétit de Patrick Drahi, dont le groupe Altice a remporté la diffusion du championnat d'Angleterre de football (la Premier League) pour 2016-2019 en déboursant 100 millions d'euros par an.

"Je ne sais pas si ce sera une réussite pour Altice mais ce sera forcément une épreuve supplémentaire pour Canal+, déjà largement attaqué par BeIn Sports", souligne Florence Le Borgne, du cabinet Idate.

Depuis 2012, et l'arrivée de BeIn Sports, filiale du groupe qatari Al-Jazeera, Canal+ a en effet connu une véritable hémorragie, avec la fin de la diffusion des championnats italien, allemand et espagnol en foot, de la NBA et l'Euroligue en basket, du tournoi de Wimbledon en tennis, du championnat de France et de la Coupe d'Europe en handball, et de la coupe d'Europe de rugby.

"Au niveau de la Ligue 1, ils peuvent compter jusqu'en 2020 sur le match du dimanche soir, mais la domination écrasante du PSG affaiblit l'intérêt de la compétition", note un spécialiste des droits sportifs.

"Cet échec sur la Premier League apparaît d'autant plus incompréhensible qu'un accord tacite de non-agression avait été conclu avec BeIn Sports", ajoute-t-il.

Il est pour l'instant difficile de prévoir les conséquences directes de cet échec sur le parc d'abonnés de Canal+, qui a fondu de 88.000 à fin septembre sur un an. Et ce malgré des "offres promotionnelles très généreuses à destination des anciens abonnés français", relève un cadre du groupe.

- Seulement 15% du capital -

"Sur les six millions d'abonnés de Canal+ en France, un peu moins de la moitié le sont à l'offre sport et suivent en priorité le foot", estime un analyste parisien.

"Le prix des droits sportifs va augmenter dans les prochaines années parce que vous allez avoir plusieurs acteurs majeurs dans l'Hexagone avec Canal+, BeIn Sports, Altice sans oublier Discovery qui a de grandes ambitions pour Eurosport", assure-t-il.

Alors que Canal+ avait par exemple réussi à faire baisser le prix de la Premier League à 7 millions d'euros annuels entre 2007 et 2010, cette surenchère annoncée menace le groupe, qui souffre déjà dans le cinéma et les séries face à Netflix, la VOD et le streaming.

"La rentabilité des évènements sportifs ne sera pas au rendez vous en raison de tarifs trop élevés, donc Vivendi doit absolument accélérer la diversification qu'il est en train de mettre en place, et renforcer le contenu sur la production et les séries" comme Versailles ou Les Revenants, affirme l'analyste.

"Mais Canal+ est d'ores et déjà pris en cisaille puisqu'elle doit dépenser plus d'argent tout en gagnant moins qu'avant", avertit-il.

Cette déconvenue anglaise remet également en cause la stratégie de recentrage dans les médias suivie par Vincent Bolloré, symbolisée par l'acquisition de la plateforme Dailymotion ou la montée au capital d'Ubisoft et Gameloft.

La cession de SFR au câblo-opérateur Numéricable de Patrick Drahi en avril 2014 n'apparaît plus aujourd'hui comme une si bonne affaire.

"Le contenu c'est une chose, mais il ne faut pas oublier les tuyaux", juge un autre analyste.

L'homme d'affaires est accusé par ailleurs de censure et d'autoritarisme dans sa gestion de Canal+, dont les audiences en clair ont plongé.

Propriétaire d'Havas et du groupe familial Bolloré, il souhaite de longue date prendre part à la future consolidation européenne des télécoms avant de prendre sa retraite en février 2022.

Mais sa prise de participation dans Telecom Italia est contrecarrée par Xaviel Niel, le patron d'Iliad, et un rapprochement éventuel avec Orange ou Telefonica pourrait échouer malgré les huit milliards d'euros dont dispose Vivendi.

Enfin, premier actionnaire de Vivendi avec seulement 15% du capital, le statut de son dirigeant demeure fragile. "Si Bolloré c'est Vivendi, l'inverse n'est pas vrai, ce qui pourrait poser problème à terme", prévient l'analyste.

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