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Le Pakistan commence à sévir contre le trafic d'organes

Lors d'une descente dans un hôpital clandestin à Lahore au printemps, la police a pris sur le fait deux médecins en train de greffer deux reins en toute illégalité, avec les donneurs et les patients encore endormis sur les tables d'opération.

Les médecins ont été autorisés à terminer l'opération, puis interpellés, ainsi que leurs assistants et leurs clients venus d'Oman, un cas qui selon les autorités pakistanaises pourrait marquer un tournant dans leur lutte contre le trafic d'organes.

Le Pakistan, avec ses inégalités criantes, est de longue date une plateforme internationale pour le trafic d'organes. Les autorités se disent impuissantes pour lutter contre cette criminalité.

Il n'existe pas de système généralisé de dons d'organes après le décès, mal vu d'un point de vue religieux et social, ni de registre national des personnes en attente de greffe.

Reste aux patients à trouver eux-mêmes un candidat au don, qui est légal tant qu'il est volontaire, sans contrainte ni paiement.

Mais l'écart est tel entre l'offre légale et la demande que les patients aisés se tournent vers des mafias trafiquant les organes, exploitant à grande échelle des millions de pauvres aux abois.

Un rein peut s'acheter à un prix si compétitif que des patients étrangers viennent notamment du Golfe, d'Afrique et du Royaume-Uni pour se faire greffer.

A défaut de contrôles, ce trafic a prospéré au vu et au su de tous, dans des établissements ayant pignon sur rue.

- Un rein pour 23.000 dollars -

Dans un bon hôpital privé d'Islamabad, il n'a ainsi fallu que quelques minutes à un journaliste de l'AFP pour se voir proposer par un "agent" un donneur et de l'aide pour obtenir le permis gouvernemental de greffe du rein, le tout pour 23.000 dollars.

L'Autorité de contrôle des greffes humaines (HOTA) se dit dépourvue pour lutter contre ce trafic. Si un donneur affirme agir bénévolement, "il n'y a rien qu'on puisse faire" pour le vérifier, déplore le Dr Suleman Ahmed, cadre de l'Autorité.

Mais la descente de police le 30 avril dans une maison de Lahore montre que les autorités ont décidé de sévir, souligne Jamil Ahmad Khan Mayo, directeur adjoint de l'Agence fédérale d'investigation (FIA).

Jusqu'en mars, les autorités provinciales étaient chargées de faire appliquer les lois sur le don d'organe. Mais depuis, un organisme puissant et respecté a été chargé d'enquêter sur ces affaires à travers le pays, la FIA.

Dans l'affaire de Lahore, les 16 suspects arrêtés sont derrière les barreaux et l'enquête se poursuit. Ils risquent jusqu'à dix ans de prison.

"Par ce raid, nous voulons envoyer le message fort à l'étranger que le Pakistan n'est plus un lieu sûr pour les greffes de rein illégales", souligne le directeur adjoint de la FIA.

- Loi du marché -

Mais rien n'a été fait pour s'attaquer aux causes du mal, soulignent les experts.

"Ce commerce illégal profite aux riches et à l'élite du pays", relève Mumtaz Ahmed, chef du service de néphrologie à l'hôpital public Benazir Bhutto à Rawalpindi, une ville attenante à Islamabad.

Pour M. Ahmed, membre d'une commission d'enquête gouvernementale sur les trafics de reins, c'est ce qui rend les élus réticents à faire appliquer la loi.

Les dirigeants de la FIA, quant à eux, assurent qu'ils séviront sans exception.

Les problèmes rénaux sont très répandus au Pakistan, selon un des principaux établissements de greffe, le Sindh Institute of Urology and Transplant (SIUT), à Karachi: chaque année, environ 25.000 personnes sont touchées, mais seules 10% sont dialysées et 2,3% greffées.

"De nombreux patients viennent nous voir avec un membre de leur famille prêt à donner un rein", explique M. Ahmed. "Puis ils changent d'avis et se rendent dans un hôpital privé, quand ils apprennent que là, ils peuvent acheter un rein."

Face à cette demande, l'offre ne manque pas parmi les plus défavorisés, qui y voient un moyen de sortir de la misère.

Dans les usines, les champs et les briqueteries, nombre de travailleurs se retrouvent esclaves, piégés par des dettes contractées auprès de leur employeur pour se soigner ou élever leurs enfants. Ils remboursent leur dette par leur travail, dans un cycle d'exploitation que certains espèrent briser en vendant un organe.

- Syndicat de donneurs -

C'est ce qui est arrivé à Bushra Bibi, qui souffre continuellement depuis qu'elle a vendu son rein il y a douze ans.

Essuyant quelques larmes discrètes, Mme Bibi raconte comment son père a eu besoin d'argent pour se faire soigner et rembourser une dette, si bien qu'elle a vendu son organe pour 110.000 roupies (930 euros).

Puis, lorsque son beau-père est tombé malade, son mari s'est à son tour résigné à vendre un rein.

Depuis cette décision désespérée, ils peinent à travailler et à s'occuper de leurs cinq enfants -- au final, ils doivent encore plus d'argent qu'avant l'opération.

"Je n'arrive pas à balayer et les gens se moquent car je ne parviens pas à finir mes tâches ménagères", dit-elle.

Dans la région où habitent Bibi et sa famille, le district fertile de Sargodha dans le Pendjab, il y a tant de victimes de ce trafic qu'un habitant, Malik Zafar Iqbal, a décidé de monter un syndicat pour défendre les droits des donneurs.

Montrant à l'AFP une liste de plusieurs centaines de noms, il indique avoir rencontré des responsables locaux, en vain pour le moment. "J'ai moi même vendu mon foie pour 104.000 roupies (890 euros). Ça n'est jamais assez," soupire-t-il.

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