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Les rubis, trésors enfouis du Cachemire pakistanais

Muhammad Azeem passe quatre mois par an à forer à l'explosif les montagnes du Cachemire, riches en somptueux rubis et autres gemmes. Un labeur qui ne profite cependant guère au Pakistan, où ce trésor est mal exploité.

"Je fais des forages dans la mine avant qu'on place les explosifs pour le dynamitage. C'est un travail très dur", explique à l'AFP le mineur, en maniant une perforatrice vétuste au fond de tunnels mal aérés.

La mine de Chitta Katha est située à plus de 3.500 mètres d'altitude sur les pentes vertigineuses de l'Himalaya, à onze heures de route et deux heures de marche de Muzaffarabad, la capitale du Cachemire pakistanais.

"L'an dernier, après un dynamitage, nous avons trouvé une grosse pierre précieuse" de la taille d'un œuf, raconte cet ouvrier de 28 ans employé de la compagnie publique AKMIDC, chargée de développer l'industrie minière de la région.

Selon des études géologiques commandées par l'exécutif provincial, le Cachemire pakistanais a des ressources prouvées de plus de 40 millions de grammes de rubis et des ressources présumées de près de 50 millions de grammes supplémentaires.

Cela représente une manne potentielle estimée à 500 millions de dollars, un trésor dans une région abritant 4 millions d'habitants aux revenus modestes pour la plupart.

Mais les pierres précieuses représentent actuellement moins de 1% des revenus fiscaux du Cachemire.

- Techniques archaïques -

Outre la mine de Chitta Katha, gérée par la compagnie publique AKMIDC, seule une autre mine de rubis est exploitée, non loin de là, dans le cadre d'un partenariat public-privé lancé en 2012. Et là aussi, on ne travaille que quelques mois par an en raison de la neige, avec des techniques archaïques qui endommagent les joyaux.

"On exploite les mines à la main ou en déclenchant de petites explosions, ce qui fait perdre aux pierres 40 à 50% de leur valeur", reconnaît Shahid Ayub, directeur général d'AKMIDC. "Nous manquons d'investissements pour valoriser au mieux nos ressources."

Les autorités fédérales qui administrent ce territoire contesté n'ont pas les fonds nécessaires, explique-t-il.

Quant aux investisseurs privés, ils sont découragés par le fait que les mines se trouvent dans des zones peu accessibles en raison du relief très accidenté et de la proximité de la Ligne de contrôle, la frontière de facto avec l'Inde, où les échanges de tirs sont fréquents.

En outre, les grandes compagnies minières internationales hésitent à investir au Pakistan, échaudées par des contentieux juridiques au sujet d'importantes concessions de cuivre et d'or dans le sud-ouest du pays.

- Couleur grenat -

Résultat: le Cachemire recèle des gemmes d'un éclat particulièrement pur et d'une couleur grenat très recherchée, selon des experts, mais les pierres extraites sont de qualité irrégulière.

"Nous avons des rubis aussi beaux que les Birmans, mais ils ont de meilleures techniques pour les exploiter", explique Huma Rizvi, négociante en pierres.

Mir Khalid, qui tient l'une des seules boutiques de pierres au Cachemire, estime que "c'est une question de chance: quand tu commences à tailler, soit tu trouves une pierre magnifique, soit elle est abîmée et fendue."

Derrière le comptoir en bois de sa minuscule échoppe, il garde enfouies au creux de feuilles de journal et de sacs plastiques poussiéreux des poignées d'émeraudes brutes d'un vert vif, quelques petits rubis roses à peine polis et de la tourmaline à tous les stades de finition.

La commercialisation reste balbutiante. Les quelques dizaines de kilos de rubis extraits officiellement chaque année sont vendus sous leur forme brute, lors d'une vente aux enchères annuelle très réglementée. Mais de nombreuses pierres sont aussi vendues de façon informelle.

- Centre de formation -

Pour lutter contre le trafic, le transport des pierres précieuses est interdit au Cachemire.

Ce qui entrave les efforts pour développer une industrie de joaillerie locale.

Un centre gouvernemental de formation où l'on apprend à reconnaître et tailler les pierres a été lancé à Muzaffarabad en 2016 pour "valoriser sur place les pierres précieuses", dont la plupart sont actuellement transformées en Thaïlande ou à Jaïpur (Inde), explique son directeur Imran Zafar.

Une dizaine d'artisans cachemiris s'y affairent autour des scies et facetteuses.

Abdur Rahmane est l'un d'eux. Sous ses doigts habiles, une petite pépite terne se transforme en gemme rose éclatant. "Mes pierres préférées sont le rubis, la tourmaline et le saphir", sourit ce jeune diplômé, qui gagne désormais sa vie en taillant les joyaux à la demande.

"Avec un peu d'entraînement, nous pourrons nous faire une place sur le marché international", espère-t-il.

Mais pour que les gemmes et autres ressources minières, cuivre, or et argent notamment, participent plus largement à l'économie du pays, il faudra investir et développer le savoir-faire local ainsi que le cadre juridique du secteur minier.

Ce secteur "n'est pas assez régulé", souligne Mme Rizvi. "Quand on achète une concession, on n'est jamais sûr de payer la bonne personne. Chaque zone a des règles différentes."

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