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Mozambique: les pauvres de Maputo font les poubelles de la croissance

(Belga) Jason sourit de toutes ses dents. Il vient de trouver un mille-feuille tout crémeux encore emballé parmi les détritus, dans un camion poubelle qui alimente la décharge à ciel ouvert d'Hulene au coeur de Maputo, la capitale du Mozambique.

Grande comme 17 terrains de football et haute de trois étages, cette montagne d'ordures en pleine ville résume la décennie écoulée dans ce pays d'Afrique australe bordé par l'océan Indien: une croissance fulgurante et une pauvreté qui persiste. Le camion poubelle n'a même pas le temps de s'arrêter que Jason, 13 ans, et d'autres gosses hurlent, sifflent et se jettent dessus pour ouvrir le hayon et s'emparer de sa cargaison, une avalanche de sacs qu'ils escaladent et déchirent à la recherche de tout ce qui peut se récupérer, papiers, bouteilles, canettes... Le camion est celui qu'ils attendaient. Il arrive des beaux quartiers, avec les poubelles de plusieurs hôtels de luxe de Maputo. Arraché dans la bousculade avec les autres enfants, le mille-feuille améliore considérablement l'ordinaire des petits-déjeuners, en général du pain moisi. Nuisance numéro un pour les riverains avec ses nuages de mouches, ses vapeurs toxiques, sa puanteur insoutenable surtout après les pluies de l'été austral, la décharge est le seul moyen de survie de Jason, comme pour 500 personnes environ, surtout des femmes et des enfants, les plus vulnérables de la société qui n'ont d'autre choix pour survivre. Leurs petites silhouettes voûtées émergent au loin, tels des fantômes, fouillant cet océan de saleté, perdus dans une brume marron, survolés par des hérons. Quand on lui demande ce qui est le plus dur dans cette vie de "catadores" (chiffonniers en portugais) qu'il mène avec sa mère, l'adolescent au regard timide réfléchit en silence. "La faim", murmure-t-il finalement. Pour se protéger du gaz méthane toxique qui s'échappe en permanence des immondices, beaucoup d'enfants portent des masques, fabriqués à l'aide de vieilles chaussettes ou d'autres habits avec des trous découpés pour les yeux. Quelques heures sur la décharge suffisent pour avoir mal aux poumons mais Helen Arnaldo, une grand-mère de 48 ans, dit qu'elle travaille là depuis vingt ans et qu'elle se sent encore "OK". En 2007, les autorités ont annoncé qu'elles allaient fermer le site et le déménager à 20 km, dans un endroit plus sain et à l'abri de l'urbanisation incontrôlable. Mais même si les délais sont tenus, la nouvelle décharge n'ouvrira pas avant 2016. "Je ne sais pas ce qu'on fera alors. Peut-être qu'il faudra qu'on devienne des voleurs", lâche Dercio Cunha, tandis que ses enfants s'élancent vers un nouveau camion poubelle. "On n'aura plus rien pour nourrir nos enfants". Pas moins de 900 tonnes de déchets sont déchargés quotidiennement sur le site. Construite à l'origine loin de Maputo il y a 50 ans par les colons portugais, la décharge a été rattrapée par la ville qui compte désormais plus d'un million d'habitants. Avant 1960, le Mozambique était l'un des pays les moins urbanisés au monde. Mais la population vivant en ville est passée de 4% à 38% en 2010, selon des estimations de l'ONU. Les palaces cinq étoiles de Maputo, les nouveaux centres commerciaux et appartements de luxe sont à quelques kilomètres seulement, mais semblent appartenir à un monde parallèle. Le Mozambique compte parmi les dix économies à la croissance la plus rapide de la dernière décennie, avant même les retombées attendues des gigantesques découvertes gazières faites dans le nord du pays. La croissance moyenne, de 7,5% par an, devrait se poursuivre en 2014, comme en 2015, selon le Fonds monétaire international (FMI). Mais plus de 20 ans après la fin de la guerre civile et la destruction de la plupart des infrastructures, le pays pointe toujours à la 178e place sur 187 au classement des Nations Unies pour le développement humain. (Belga)

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