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A Belfast, une école de gaélique en plein quartier protestant

"An Seanduine Dóite" dit la chanson. Chaque semaine, ils sont une douzaine à venir fredonner en gaélique dans une école située en plein coeur d'un quartier unioniste de Belfast, où cette langue celte est souvent considérée comme celle de l'ennemi nationaliste.

"Le vieil homme fané" est un texte traditionnel irlandais, la complainte "d'une jeune femme malheureuse d'avoir été mariée à un vieil homme", explique l'enseignante Caoimhe Ní Chathail, 31 ans, yeux clairs et rire sonore.

Sur les murs de la classe, des affiches rappellent quelques bases de cette langue ancestrale, majoritairement parlée en Irlande jusqu'au XVIIIe siècle avant de décliner sous le feu de la politique répressive menée par l'Angleterre coloniale.

Il y a les "Míonna Na Bliana", les mois de l'année. On trouve aussi des bande dessinée, dont "Todóga na bhFaronna", les aventures de Tintin dans "Les Cigares du Pharaon".

Les cours ont lieu dans les locaux de Turas ("Voyage" en gaélique), en face de fresques à la gloire des groupes de défense loyalistes, au beau milieu d'un quartier majoritairement partisan du maintien dans le Royaume-Uni, où beaucoup honnissent la langue officielle de la République d'Irlande voisine, qui bénéficie d'un statut de langue régionale en Irlande du Nord.

-'Continuité'-

Paul Lynas, fonctionnaire retraité, est originaire d'un milieu protestant comme la plupart des élèves. Il assiste aux cours depuis un peu plus de trois ans. Et trouve ça parfaitement normal.

"Quand les protestants d’Écosse se sont installés ici, ils parlaient le gaélique écossais et il y a toujours eu un apprentissage du gaélique chez les protestants, donc c'est loin d'être révolutionnaire, c'est plutôt une continuité", dit-il à l'AFP.

Autour de la table, Linda Ervine chante avec enthousiasme au milieu des élèves. L'ex-professeur d'anglais devenue directrice de Turas regrette que le gaélique ait été "utilisé à des fins politiques".

La création de l'école en 2011, au sein de l'église méthodiste du quartier, a reçu un accueil mitigé des sphères unionistes, se souvient-elle. Mais "rien de très sérieux", précise Linda Ervine qui évoque "des appels de gens pour dire qu'ils ne soutiendraient plus financièrement l'église" ou "quelques insultes sur Facebook".

Depuis, le succès est au rendez-vous avec treize cours par semaine contre un seul à l'origine. Débutants ou confirmés, enfants ou adultes, les classes de chants ou les discussion de groupes, gratuits, accueillent plus de 160 élèves.

Ce soir-là, ils sont une vingtaine à assister au cours pour débutants. Un couple d'une soixantaine d'années côtoie deux jeunes gens. Plus loin, une jeune fille en pull à capuche beige est assise à côté d'un quadragénaire distingué, costume sombre et cravate rouge.

"Au tout début, il y avait une appréhension de la part des gens qui, je suppose, se demandaient s'il y avait un objectif caché derrière ces cours. Mais ils ont vu qu’il n'y avait pas de message politique ou religieux et on a bien grandi", constate Caoimhe Ní Chathail, qui anime aussi cette classe.

- Protection juridique -

Natalie Craig, institutrice de 28 ans, en est à sa quatrième semaine à Turas. "J'ai toujours croisé certains noms de rues en irlandais à Belfast et je me demandais: 'comment est-ce que ça se prononce ?'", explique-t-elle.

Le regain d'intérêt pour la langue irlandaise se constate aussi au niveau de l'enseignement scolaire. En 2014/2015, le département de l'Education recensait 5.256 enfants du primaire inscrits dans des cursus en gaélique, un chiffre deux fois plus important que dix ans auparavant.

"On s'attend à ce que le nombre double encore d'ici une quinzaine d'années", affirme Linda Ervine, qui déplore cependant un déclin de l'enseignement en tant que langue maternelle, entraînant un appauvrissement du vocabulaire de ses locuteurs. D'où son combat pour une protection juridique du gaélique, que réclament également les nationalistes.

Mais la création d'un Irish Language Act est le principal point d'achoppement entre les nationalistes du Sinn Féin et les unionistes du DUP, les deux principaux partis de la province britannique qui négocient en vain depuis mars la reformation d'un gouvernement de coalition régionale.

Ils ont désormais jusqu'au 30 octobre pour aboutir, selon un nouvel ultimatum fixé par Londres.

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